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    La jeune comtesse eu, néanmoins, un aperçu de l’existence dorée que tous trois menaient en écoutant bavarder sa rivale qui ne tarissait pas d'éloges sur son beau-père. Il la gâtait outrageusement, se souciant peu de l'existence de sa propre fille du temps ou elle vivait près de son oncle. A force d'écouter Ludivine se vanter de l'amour que lui portait son beau-père, Isabelle apprit, par la même occasion, que son père, depuis quelque temps, était souffrant, et que le médecin avait conseillé une cure à La Baule où il se trouvait en ce moment avec la d’Argenson. Ludivine, rose de plaisir, était tout à son avantage de pouvoir annoncer que bientôt, il y aurait une grande fête au château, et qu'il serait habité pendant quelques jours par leurs amis et leurs connaissances. A cette occasion, elle séjournerait à Monteuroux. Elle s'empressa de préciser à l'auditoire que les invités arriveraient à Monteuroux vers la mi-Août :

    Cela fait un peu tôt, quoi que cette année, le temps est clément reprit Ludivine.

    Isabelle se fit un plaisir d'expliquer à cette Péronnelle, que le temps, à part quelques jours de pluie en mars, était clément depuis le début du printemps. Elle continua pour la mettre mal à l'aise :

    Encore aujourd'hui, le soleil nous fait l'honneur de sa chaleur et de sa lumière. Nous avons beaucoup de chance, et nos promenades n'en sont que plus agréables, mais pour cela, il faut aimer la campagne... Mes cousins et moi-même, aimons la nature, contrairement à vous, Ludivine et votre mère...

    Piquée au vif, celle-ci en enrageait intérieurement de ne pas pouvoir répliquer, car elle savait très bien ce à quoi Isabelle faisait allusion. Elle feint de ne pas avoir entendu l'insinuation de sa rivale concernant son manque de présence aupré de son époux. Elle fit donc mine de ne pas se soucier de la réplique de la jeune comtesse, et continua son bavardage :

    Nos amis vont avoir le privilège de très belles soirées ! Les fêtes que ma mère va donner sur plusieurs jours, devraient être réussi ! A propos, j’ai peur qu’il n’y ait plus de place pour votre cabriolet, chère Isabelle. Voyez si vous ne pouvez pas lui trouver une autre place dans les ruines de château-vieux.

    Le cabriolet restera là ou il est actuellement ! Aboya William sur sa femme qui en prenait un peu trop à son aise, se croyant légitime propriétaire de Monteuroux.

    Ludivine surprise du ton encore une fois employé par son mari, n’osa dire mot et continua son pérorage assommant qui n’intéressait personne :

    Lorsque la plus part de nos invités, seront repartit, à notre tour, nous nous en irons pour Aix les bains.

    Isabelle pensa que la dArgenson ne venait jamais à Monteuroux sans sa cour d'admirateurs, il n’y avait presque personne à château-neuf avant la fin août, car sa belle-mère estimait que le climat était encore trop froid pour elle, sa fille, son petit fils et son époux : ce qui était faux, bien sûr ! Son père avait toujours vécu à Monteuroux sans être, pour autant, nullement affaiblit ! Que ce passait-il ? Serait-ce, ce à quoi elle pensait ? Sa belle-mère préparait-elle la fin de vie de son son père de façon à ce que rien ne se remarque et passe pour un affaiblissement dû à une maladie comme elle le soupçonnait depuis longtemps ? Elle allait devoir surveiller les manigances de cette femme qu'elle n'aimait décidément pas plus que lorsqu'elle vivait à château-vieux du temps de son adolescence.

    Le soir de sa première confrontation avec une Ludivine désirant se faire valoir, comme à son habitude, Isabelle sortit de la vieille tour, tentée à la fois par un magnifique clair de lune, et par une relative fraîcheur venant des des bois et collines alentours. Comme souvent, elle désirait se rendre en pèlerinage jusqu’à l’étang, lieu symbolique où sa mère y avait laissé la vie. C’était important pour elle. Isabelle espérait sans oser se l’avouer, revoir son fantôme telle une ombre légère dans la nuit claire. Cela faisait si longtemps... Elle passa par le parterre, descendit les vieux degrés de pierres, vieillit par le temps, qui conduisait au parc, et emprunta le sentier menant directement là ou elle désirait se retrouver.

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    L’apaisante luminosité de cette nuit de juin détendit ses nerfs mis à rude épreuve par la présence de la fille de sa pire ennemie. Se faire violence pour supporter l’idée d’avoir à côtoyer cette peste gênait fortement la jeune comtesse :

    Il va falloir que je la supporte le temps de son séjour à Aigue-blanche. Pensait Isabelle. Je ne sais si j’y arriverais ? Il faut que je me tienne loin d’elle le plus possible. Il y aura certainement des jours où je ne pourrais l’éviter, pas plus que sa mère, d’ailleurs ; mais il faudra que je me contienne devant leurs insinuations...

    Tout en avançant, Isabelle ne s'était pas aperçu que sur les chemins l’ombre des vieux arbres l’avait enveloppé toute entière. La saine odeur du bois résineux provoqua en elle un frisson de plaisir. Dans le silence, l’eau d’une source cachée s’égouttait le long d’un rocher moussu. Un oiseau de nuit hulula. Isabelle avançait comme dans un songe. Elle pensait à William et à ce visage glacé qu’il opposait aux sourires mielleux et au regard enjôleurs de sa femme. Que lui avait-elle donc fait pour qu’il ait, à son égard, une telle attitude ? Que lui avait-elle fait pour qu’il dissimule au fond de son âme cette souffrance indéfinissable qu’elle ressentait elle-même lorsqu’elle l’observait à la dérobée ? Malgré lui, lorsque Ludivine séjournait à Aigue-blanche et qu'il était obligé de tenir compte de sa présence, cette femme-enfant, refusant les responsabilités qui lui incombait en tant qu’épouse puisqu’il ne vivait pas avec elle, il ne pouvait s’empêcher de lui montrer de l’animosité. Après tout, la seule obligation de vivre quelques semaines par an près d’elle et non pas avec elle lorsque l'on a une âme loyale et fière, cela devait être le summum de l’humiliation pour un homme droit et fière tel que lui. Son attitude ne suffisait-elle pas à expliquer l’étrange comportement de son cousin avec elle ? C'était d'autant plus étrange quand on l’avait vu si différent avec sa famille... depuis qu’elle était de retour, ce n’était plus le même homme. Sous sa réserve habituelle, elle avait appris à connaître sa valeur morale et à soupçonner, en lui, une sensibilité farouchement cachée. Quand il se trouvait en sa présence, aucun mouvement de lassitude, aucune variation dans son regard ou d’intonations de voix ne lui échappaient. Isabelle ressentait à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle, une sorte de curiosité avide qui donnait un sens à sa vie... Un goût chaque jour plus vif… Elle aimait ses rencontre avec son cousin, même si elle s’en défendait.

    Au bord de la clairière, apparut la petite maison d’Adrien qui n'était qu'un rez-de-chaussée protégée par son toit de chaume. Une charmille bordait le jardin, cachant ainsi le vieille homme qui, selon son humeur, ne désirait pas être vu. Sous une des fenêtres de la chaumière, le jardinier fumait sa pipe en se balançant sur son rocking-chair abrité par une avancée le protégeant du soleil les après-midi ou il s'accordait un peu de repos. Il murmura un vague bonsoir demoiselle, auquel Isabelle répondit distraitement. Elle se surprit à penser que, peut-être, avait-il été là, à cette même place, quand la jeune comtesse de Rubens était passée autrefois dans ce chemin, s’en allant vers son destin tragique ? Isabelle n’avait jamais songé à le lui demander. Le vieillard dhumeur taciturne, ne répondant plus que laconiquement à qui lui posait des questions. C'était un vieil homme taiseux avec qui l'on n’engageaient guère à la conversation.

    Quand elle atteignit l’étang, la lumière du disque lunaire projetait un gris argenté éclairant la surface liquide. Isabelle s’approcha de la berge, s’arrêta près de l’endroit où Daphné avait sombré dans la profondeur de cette étendue d'eau. Isabelle se mit à frissonner sans en connaître la raison. Dans cette clarté que la pleine lune favorisait, les nénuphars refermés en boutons, semblaient irréels et comme posés là par magie.

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    Pour la première fois, elle remarqua que les nénuphars, le soir, repliaient leur corolle pour former un bouton. Elle n'y avait jamais prêté attention, et de voir ces fleurs se refermant pour la nuit, lui fît comprendre que sa maman n'était pas venue à cet endroit pour cueillir ces fleurs, ce qui la fît s'enfoncer dans la certitude qu'une main meurtrière l'ayant férocement poussé dans l’eau. Du cœur d’Isabelle monta une prière pour sa mère trop vite disparue. Elle resta un long moment, les yeux fixés sur ces fleurs aquatiques avec la certitude qu’il n'y avait aucun intérêt à vouloir les cueillir la nuit. De plus, ces fleurs étaient vraiment trop peu rapprochées de la berge pour que lon ait pu facilement les atteindre. Comment sa jeune mère avait-elle put être aussi imprudente pour vouloir en cueillir une, surtout vers les onze heure du soir, même sous une clarté lunaire propice aux promenades ? Cette réflexion la laissa en pleine perplexité et avec un sentiment d’insatisfaction. Les années d’absence n’avaient en rien changé sa façon de s’imaginer la scène. Pour elle, il était clair qu’un geste malveillant, avait délibérément supprimé la vie de sa jeune mère. Ce ne pouvait être que ça. De nouveau, un hululement se fit entendre et sortit Isabelle de sa méditation. Dans le silence de cette heure tardive, l’oiseau de nuit répéta sa plainte. Isabelle s’écarta de la berge sans avoir aperçu l’ombre d’une apparition, pas même une plainte ou le murmure de son prénom. Après tout ce temps passé loin de Monteuroux et de l’étang-aux-ormes, peut-être était-il normal de ne rien voir ni rien ressentir ? La jeune comtesse avait changé, et son état d’esprit n’était plus le même qu’autrefois, pourtant, sa sensibilité était toujours aussi exacerbée et elle ne comprenait pas que le moment n’était peut-être pas propice au souhait qu’elle espérait voir se réaliser de toute son âme. Isabelle décida d’aller prendre l’ouvrage qu’elle avait oublié l’après-midi même au pavillon. D’un geste vif, grimpa les quelques marches et elle ouvrit l’une des portes vitrées donnant sur la grande salle. Elle eut soudainement un cri qui s’étouffa dans sa gorge. Une femme debout au seuil d’une des portes vitrées donnant sur l’arrière pavillon, venait de se retourner brusquement.

    Qui vient là ? Qui...

    Dans un pâle visage, deux yeux irrités s’attachaient sur la jeune comtesse.

    Oh ! Pardon, ma tante ! J’ignorais…

    Isabelle voulu rebrousser chemin, mais sa tante la retint de la voix :

    Tu es Isabelle ?

    Cétait bien Victoria de Rubens qui l'apostrophait ainsi. Elle était vêtue d’une robe de satin noir très ample qui la dissimulait jusqu’aux pieds, mais ne pouvait complètement cacher la déformation de son corps. Sa tante ’interpellait d'une voix légèrement rauque comme celle d’une personne peu habituée à parler et qui, de plus, était enrhumée, ce qui ne facilitait pas l'élocution. Isabelle se sentait dévisagée, épiée, mise à nue avec une brutalité déconcertante.

    Oui, ma tante.

    Approches-toi, que je te vois mieux.

    Isabelle obéit. Victoria lui saisit la main, l’attira près de la porte qui donnait sur l'étang baigné par la pleine clarté de la voûte étoilée embellit par cette clarté lunaire.

     

    Antoinette avait raison. Tu me ressembles étrangement, dit-elle. 

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    — On ne peut pas nier que tu sois ma nièce !

    Isabelle la considérait avec une compatissante curiosité. Les traits amaigris de sa tante étaient encore beaux, mais le magnétisme de son visage se trouvaient dans ses yeux brûlants d’un feu intérieur animés d’une vie secrète et ardente. De nouveau, le regard intimidant de sa tante scruta Isabelle.

    Que viens-tu faire ici ?

    Chercher mon sac à ouvrage que j’avais oublié cet après-midi. Veuillez bien excuser mon intrusion dans votre intimité, ma tante. Aurais-je troublé votre solitude ?

    Pourquoi choisir cette heure pour venir te promener de ce côté-ci du parc ? Ton sac ! Tu l’aurais aussi bien retrouvé demain matin ! Qu’est-ce qui t’attire ici ?

    Principalement le plaisir d'admirer l’étang au clair de lune où ma jeune mère s’en est allée...

    Ah ! Toi aussi tu aimes cet étang ?

    Il sembla à Isabelle qu’une note se fêlait dans la voix de Victoria.

    Ne te laisses pas aller à ces rêveries, mon enfant. Ce n’est pas bon pour toi.

    Victoria détourna son visage de sa nièce, et il devint moins distinct pour la jeune fille. Sa tante semblait respirer avec difficulté. Isabelle, après une courte hésitation, dit résolument :

    Antoinette m’a appris que vous refusiez de me recevoir, ma tante. Cependant, j’aurais été si heureuse de...

    Heureuse ? Heureuse de connaître une réprouvée comme moi ?

    Une sorte de rire douloureux soulevait sa poitrine et la fit tousser.

    Vous n’êtes pas une réprouvée, ma tante ! Vous êtes seule comme je l’ai été si longtemps à la mort de maman. J’ai souffert de cette solitude. J’étais bien jeune alors, et l’on m’a, moi aussi, en quelques sortes, relégué aux oubliettes. J’aurais aimé vous connaître à cette époque et avoir votre affection comme je vous aurais donné la mienne. Nous aurions pu nous découvrir, nous apprivoiser, nous apprécier, et vous m’auriez communiqué votre savoir qui est si grand, ma tante ! Nous pouvons encore nous connaître mieux, si vous le désirez ? Vous souffrez, mais ne pensez-vous pas que mon affection pourrait vous être douce ?

    Je ne mérite guère ton affection.

    Tout le corps de Victoria sembla se raidir. Isabelle s’en aperçu et insista avec douceur ; mais sa tante refusa net l’affection de sa nièce et lança, furieuse :

    Je ne veux l’affection de personne !

    Ces mots furent jetés comme un cri de désespoir qui fit tressaillir Isabelle.

    Ma tante, pourquoi ? Je serais si heureuse que vous m’aimiez un peu et que vous me permettiez de vous aimer en retour ! Nous sommes deux âmes seules depuis si longtemps !

    Serait-il possible que tu m’aimes, moi ?! Tu voudrais m’aimer ?! Est-ce que l’on peut aimer un monstre ?!

    Il n’y a pas que la beauté qui compte moi moi, ma tante. Seule la beauté du cœur compte. La vie ne vous a pas épargné… d’une certaine façon, elle ne m’a pas épargné non plus. Nous aurions pu apprivoiser nos deux cœurs solitaires et nous apporter un réconfort mutuel ?

    La voix d’Isabelle tremblait de peur d’être rejetée encore une fois ; mais soudain, celle de sa tante sombra dans un long sanglot rauque, lançant à sa nièce stupéfaite, toute sa souffrance avec la force du désespoir. Ses yeux brûlants de fièvre s’attachèrent un instant sur le doux visage ému de sa nièce. Oh ! Ce magnifique visage ! Victoria ne put en supporter davantage. Elle lui cria avec véhémence :

    Va-t’en, ma fille. Va... Laisses cette malheureuse à son tourment, car tu ne peux rien pour elle.

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    Et n’oublie pas ceci. C’est un conseil que je te donne là et qu’il ne faut pas prendre à la légère. Prends garde à ta belle-mère, Isabelle... Prends bien garde à cette femme ! Elle est capable de tout ! Ne lui laisse pas le moyen de trouver une faille en toi qui pourrait lui permettre de te détruire ! Elle est dangereuse et ne t’aime pas comme elle n’aimait pas ta mère ! Sois méfiante à tous point de vue ! Méfie-toi aussi de sa fille qui ne vaut pas mieux qu'elle !

    Victoria se détourna de nouveau, et parut reprendre sa contemplation qui avait été interrompu par Isabelle entrant dans le pavillon de chasse. La jeune comtesse, encore toute retournée d’avoir pu, enfin, rencontrer sa tante, était perdue. Le sac à tricot qu'elle était venu chercher n'avait plus aucune importance, car Isabelle avait oublié ce pourquoi elle était venue, toute boulversée par le ton étrange qu'avait employé sa tante pour lui donner ce dernier avertissement concernant sa belle-mère et sa fille. Isabelle ne pouvait pas s’empêcher de faire le rapprochement avec sa mère qui lui avait fait part de l’air malsain que déjà elle avait respiré à Monteuroux avant sa mort. Depuis le remariage de son père avec cette d'Argenson, le mal était toujours là à guetter… Mais de quel mal parlait sa tante ? Que pouvait-elle encore lui faire cette dArgenson qui, déjà, avait écarté d’elle son père et tenté de la rendre odieuse aux yeux de ses cousins germains d’Aigue-blanche ? Et comment Victoria pouvait-elle bien la connaître, elle qui déjà, s'enfermait progressivement dans son mutisme, cloîtrée volontairement dans la vieille tour au moment où la d'Argenson était entrée en relation avec les châtelains de Monteuroux. Sa tante avait dû suffisamment en entendre parler par ses serviteurs et Antoinette, sa femme de chambre qui lui servait aussi de dame de compagnie et qui, sans doute, ne lui cachaient rien de tout ce qu'il se passait en dehors de la vieille tour...

    Cette nuit-là, Isabelle ne put fermer l’œil. Elle se sentait encore toute désemparée par la rencontre avec sa tante, et les recommandations qu’elle lui avait faite concernant sa belle-mère. Isabelle se sentait de nouveau en danger. Il fallait qu’elle reste vigilante quant à l’intégrité de sa personne. Décidément, le mystère autour du château de Monteuroux et de l’étang-aux-ormes, s’épaississait.

    Puisque la présence de Ludivine avait modifié quelque peu les habitudes bien établies des habitants de Aigue-blanche, ainsi que les siennes, Isabelle se rendit moins souvent au manoir pour éviter toute rencontre imprévues avec elle. C'est Juliette qui venait la voir presque chaque jour, soit à bicyclette, soit à pied quand elle ne prenait pas son vélo.


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    Elle passait par le sentier de la poterne qui, depuis bien longtemps, demeurait ouverte car l'on ignorait ce que la clef était devenue. Parfois William venait chercher sa sœur en voiture, et en profitait pour prendre le thé avec les deux amies dans la tour. C'est alors que son visage assombrit par des tracas inavoués, retrouvait toute sa gaîté. Il aimait s’attarder une heure ou deux pour causer avec sa sœur, admirer les dessins ainsi les aquarelles d’Isabelle qu'il qualifiait d'admirables. Ils avaient, d’un accord tacite, renoncé aux promenades à cheval, car Ludivine aurait voulu être de la partie. Or, disait Juliette :

    C’est une chose bien suffisante que de l’avoir toujours dans nos jambes lors de nos distractions, et dans la maison telle une chatte qui ronronne à longueur de temps, faisant mine d’être prête à offrir son aide et finalement, faire en sorte de ne s’occuper que de sa petite personne !

    Parfois, la jeune comtesse venait à Monteuroux et passait l’après-midi avec son fils dans le parc. Isabelle, jusqu’alors, avait toujours évité de se trouver en sa présence. Elle s’était réjouie de se trouver au village un jour où Ludivine était montée au premier étage de la vieille tour. Mais elle songeait, toute à sa joie, que bientôt la jeune femme passerait une grande partie de son temps à château-neuf, dès l’arrivée de sa mère et de son beau-père. De plus, il était prévu que Mr et Mme de Rubens donneraient une grande fête ou les invités logeraient à Monteuroux. Château neuf était propice aux réceptions, ce qui ferait disparaître, pour un temps, la tristesse des lieux. Isabelle aimait le calme et la solitude des jardins et du parc. La tranquillité de ces lieux seraient donc troublées pendant deux ou trois semaines avant que son père et sa belle-mère ne s’en aillent à La Baule.

    Pendant les festivités,vous viendrez plus souvent chez nous. Lui disait son amie Juliette.

    Le plus souvent possible. Ajoutait William avec un sourire qui en disait long sur ce qu’il en pensait de ces fêtes et invitations dont il n’avait que faire. Pour ce qui leurs restaient de temps sans être importunées par des obligations mondaines, les deux jeunes amies savouraient le calme des promenades dans la verte campagne. Sachant très bien jouée de l’orgue, Juliette faisait un détour par la petite église pour demander la permission d'emprunter l’imposant instrument à l’abbé Forges afin de faire écouter à son amie, certaines œuvres dont elle savait lire la partition.

    Il était très imposant cet orgue qui trônait sur toute la largeur dur mur de façade de l’église, juste au dessus de la grande porte à double battants, qu’une mezzanine agrémentée d’un balcon en bois de chêne surplombait. Pendant une petite heure, Juliette jouait. Elle semblais toute petite, assise au pieds de cet orgue magnifique. Pensivement, Isabelle écoutait les sons qui sortaient de l’instrument imposant. Juliette était une vraie virtuose et ne pouvait quitter l’église sans avoir joué La Toccata et Fugue en ré Mineur de Jean Sébastien Bach. Isabelle était subjuguée par la profondeur de cette œuvre qui la pénétrait au plus profond de son âme.

    Lorsque son amie eut terminé, après quelques minutes de recueillement, Toutes deux allèrent voir la mère de l’abbé qui n’était plus très jeune non plus, mais qui les accueillit avec une amabilité et un plaisir non dissimulé. Elle bavarda avec les jeunes filles pendant prés de trois quart d’heure. Ensuite, Isabelle et Juliette s’en allèrent rendre visite à Émilie Granchette. Elles restèrent une bonne demi-heure à papoter avec la vieille servante, puis elles remontèrent ensemble à Monteuroux.

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    Isabelle ne pouvait pas, non plus, confier à sa tante Victoria qui vivait retranchée dans sa farouche solitude et qui ne pourrait malheureusement pas vivre éternellement vu sa maladie. Ce secret qui commençait à lui peser qui lui faisait entrevoir un seul prénom digne de sa confiance.  Ce  prénom n'était autre que celui de William. Sans oser se l'avouer, son cousin-germain était cher à son cœur et elle ne prendrait pas le risque de lui confier ce lourd secret si difficile à porter seule. Si elle lui confiait le soins de protéger ces joyaux, de les considérer comme son bien au cas où sa mort interviendrait prématurément, ce n'était pas faisable non plus. Son souci était qu’après William, ce serait le fils de Ludivine qui en hériterait si les deux femmes lui laissait le temps d’en jouir, car la mère et la grand-mère du petit Thierry, bien avant qu’il ait atteint sa majorité, cupides comme elles l'étaient toutes les deux, elles s’empresseraient de dépenser cette fortune trop longtemps convoitée, en futilités. Poussant encore plus loin dans son raisonnement, Isabelle se dit que, dès que les joyaux seraient en possession de William, la machiavélique d'Argenson ferait, avec l’aide de sa fille, en sorte qu’il soit victime d’un accident de voiture qu'elles auraient préparé minutieusement, de façon à ce que le meurtre ne soit pas découvert. Si sa belle-mère était, d’après Victoria, si venimeuse, elle serait bien capable, pour arriver à ses fins, d’en arriver à l’acte ultime qui serait d'assassiner le détenteur des joyaux hindoue lui ayant été confié ? Il risquait d'y avoir là, une trahison vis à vis des dernières volontés de son aïeule. Il lui fallait trouver autre chose...

    Presque machinalement, elle traçait sur le papier des contours qui se transformaient en des chauves-souris volantes parmi les arbres aux formes fantasmagoriques. Sur un fond de laque pâle, elle obtiendrait là, une décoration pour un paravent qui ne manquerait peut-être pas d’originalité. Elle prit la résolution de demander conseil à son cousin qui avait un goût très sûr. Entendant un bruit de pas, elle songea que c'était certainement Juliette qui après ses corvées du jour, venait la retrouver là ou Isabelle se sentait le mieux. Elle tourna la tête vers l’étroite ouverture cachée du couloir voûtée qui menait à la poterne. Non, ce n’était pas Juliette, mais William. Il dit avec surprise :

    Ah ! Vous êtes là, Isabelle ? Vous travaillez, je voie !

    J’essaie, mais je ne suis pas en train. Je me suis perdu dans mes pensées qui m’ont emmenées très loin, et c’est presque machinalement que j’ai fais ces esquisses. Elle souriait en lui tendant la main, tandis que William lui annonçait :

    Juliette ne viendra pas aujourd’hui. Ma mère et elle s’occupent de faire des confitures pour l’hiver prochain. Elle m'a demandé de vous prévenir, comme promis. J'en profite pour vous apporter cet ouvrage de Charles Dickens dont André et moi vous avions parlé l’autre jour… mais... Isabelle, quelle imprudence de vous asseoir à cet endroit dangereux !

    Isabelle eut un léger rire.

    J’y suis tellement habituée ! C’était mon refuge préféré, autrefois. Ma bonne Adélie savait seule où me trouver quand, par hasard, on me demandait au Château. Mais puisque vous voilà, donnez-moi donc votre avis sur ce dessin.

    Elle lui tendit l’album, puis se leva en secouant sa robe quelque peu froissée.

    Qu’en dites-vous pour un paravent, ou un panneau décoratif ?

    Très bien... Ce dessin a du caractère. Rien de mièvre ou de trop recherché. On reconnaît votre nature dans vos œuvres, Isabelle.

    Il la regardait avec une attention grave, ardente. Les joues mates d’Isabelle prirent soudain une couleur rosée. Ses cils frémirent sur ses yeux aux couleurs changeantes.

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    — Une nature que j’ai méconnue autrefois, pensa William...

    La bouche du jeune comte eut une crispation d’amertume. Isabelle reprit l’album d’entre ses mains, et se mit à en tourner nerveusement les pages. Des bouffées de chaleur orageuses entraient dans la vieille salle, soulevant légèrement les boucles blondes qui encadraient ce jeune visage frémissant d’une émotion contenue. William s’en aperçu, hésita un peu, puis il osa une question :

    Vous souvenez-vous de ce que vous m’avez répondu un jour en sortant du presbytère, un peu après que votre père vous eut appris que vous seriez envoyée en Angleterre ? Et Isabelle de répondre :

    — Vous avez dit que je ne faisais pas ce qu’il fallait pour que l’on me regrette un jour. Et vous avez ajouté que Mme de Rubens et Ludivine souhaitaient sincèrement m’aimer, mais que je ne faisait rien pour... Vous m'aviez blessé à cause de votre l'opinion que vous aviez sur moi, et je vous ai répondu : 

    — Lorsque vous aurez appris à les connaître mieux, vous vous souviendrez avec regret de ce que vous me dites aujourd'hui. là, à cet instant.

    Et le jeune comte de murmurer pour elle seule :

    — Oui, ce jour est arrivé bien trop vite, Isabelle. Vous aviez raison de me mettre en garde alors que vous n’étiez qu’une toute jeune fille. Je n’ai pas voulu voir le piège tendu par cette diablesse qui allait devenir ma femme.

    — Vous étiez depuis déjà trop longtemps sous l’influence de votre belle-mère et de sa fille. Je suis très peinée pour vous, William, d’avoir été si clairvoyante. 

    Au bout que quelques semaines je compris la méchanceté et la fourberie de votre belle-mère qui est aussi, maintenant et malheureusement, la mienne.

    En ce qui concerne mon père, qui ne voie, encore à ce jour, que par elle, je peux vous assurer que son jeu de séduction est au point et j’en suis désolée pour lui. Je ne pense pas que l’admiration qu’il lui porte ne se tarisse un beau matin. Mon père est un homme faible... William, j’ai perdu l'amour de mon père depuis que cette femme et sa fille sont entrées dans sa vie...

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    Les yeux baissés, Isabelle promenait ses doigts un peu tremblants entre les feuilles de son album. Dans la voix de William se devinait une âpre souffrance qui pénétrait jusque dans son propre cœur. Une sourde douleur qu’elle ne devait pas dévoiler au jeune homme sans trahir les sentiments qu’elle éprouvait pour lui et qui se faisaient de plus en plus forte, la troublait plus qu’elle ne l'aurait voulu. Sous le regard intense du jeune comte, Isabelle leva enfin les yeux, hésitante, ne sachant si elle devait toucher à cette profonde blessure qu’elle devinait en lui. Elle murmura :

    Pourquoi avez-vous fait cela ? Dites-moi, William ?! Je n’ai jamais compris ! Vous... et elle !

    Il dit brusquement :

    Vous m’avez blâmé ? Méprisé, peut-être ?

    Ils se regardaient intensément, ne pouvant détacher leur regard l'un de l'autre, leurs lèvres se touchant presque, leur visage reflétant un profond sentiment contenu par une interdiction qu'ils ne pouvaient trahir. Tous deux ne connaissaient que l'intégrité.

    Isabelle répondit avec douceur :

    William, pardonnez-moi. J’ai eu tort de croire que vous faisiez ce mariage par intérêt, mais depuis mon retour, j’ai été complètement détrompé sur ce point.

    Alors, pourquoi l’ai-je épousé, d’après-vous ?

    Sa voix était brusque, haletante, presque violente.

    Parce que vous l’aimiez à ce moment-là. Répondit Isabelle.

    Une sorte de rire s’étrangla dans la gorge du jeune homme.

    L’aimer, moi ! Non, certes !

    Alors, on vous y a forcé ? Vous a t-on poussé à faire un mariage de raison ?

    Comment vous expliquer ? Javais vingt-deux ans, mon cœur était inexpérimenté aux choses de l’amour. Pour moi, elle ou une autre... Je me suis laissé persuader par ma mère de consentir à ce mariage. Au premier abord, Ludivine ne me déplaisait pas. Je pensais n’avoir aucune peine à être pour elle un bon mari. Cependant, peu de temps avant notre union, nous avons eu une forte dispute. Ce jour-là, j’ai eu comme l’intuition que je me trompais sur cette nature. J'ai été jusqu'à rompre nos fiançailles. Que n'ai-je pas suivit la mauvaise impression qu'elle m'avait laissé... Pourquoi ai-je cédé à ma mère au mépris de ma propre volonté ? Si je n'avais dû affronter que sa mère et à votre père, je peux vous assurer que je n'aurai pas capitulé devant eux. Je n'ai vraiment connu Ludivine qu’un peu plus tard. Ma femme est un abîme de fausseté, Isabelle.

    Enfin, le jour se faisait sur cette confrontation entre Ludivine et lui !  Le cœur de la jeune fille bondissait dans sa poitrine amoureuse. Elle ne pouvait plus nier ce sentiment qui la consumait, mais qu’elle n’avait aucunement le droit d’exprimer pour la simple raison qui était évident que William n’était pas libre, pris au piège dans un mariage dont, au départ, il n’avait pas mesuré les conséquences.

     

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