• Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34-

    Chapitre VII 

    Le départ d’Isabelle fut fixé dans la première quinzaine de septembre. Adélaïde, avec l’aide d’Angèle, s’occupaient hâtivement de lui confectionner des sous vêtements, quelques robes et un manteau. Mr de Rubens avait daigné remettre quelques billets destinés à cet effet, mais pas de quoi faire des folies. Isabelle, elle-même mettait la main à la confection du nouveau trousseau afin de faire bonne impression dans sa nouvelle famille. Elle était vive et très adroite en couture, ce qui lui permettait de se libérer assez vite de ses travaux d’aiguille pour passer une bonne partie de ses journées à parcourir le parc et ses environs. Elle tenait à graver dans sa mémoire les chers souvenirs de son enfance en se promenant le long des berges ombragées et fraîches des ruisseaux, et si l’envie lui en prenait, elle s’asseyait au bord pour y tremper ses jolis petits pieds. Profiter encore un peu de la tiède lumière d’une fin d’été propice à la rêverie, l’apaisait. Son esprit vagabondait dans les méandres de ses pensées qui, inexorablement, revenaient toujours se poser sur le bord de l’étang-aux-ormes où tant de choses inexplicables s’y étaient déroulées, puis, le cœur serré, elle s'en retournait vers la vieille tour ou elle avait grandit, en se disant : 

    Je ne verrai plus mon cher Monteuroux pour un temps. Certaines de mes amies très âgées que j’aime bien, ne seront plus là à mon retour ; mais les habitants du village n’en ont pas fini avec moi. Je finirais par savoir la vérité, dû-sais-je y passer ma vie ! L'assassinat de maman que je soupçonne être une réalité, ne restera pas impuni. Je ferais ce qu'il faut pour connaître les mains assassines qui ont supprimé sa vie.

    Cet entretient avec l’abbé Forges l’avait conforté dans l’idée que la d'Argenson, à l’époque où elle n’était encore que vicomtesse, y était bien pour quelque chose dans la soi-disant noyade de sa tendre mère. Il était nul besoin qu’on lui dise ce qu’au fond d’elle-même, elle savait déjà. En se taisant, L’abbé avait donné du grain à moudre à son moulin. Son entretient n’avait pas été pour la rasséréner et elle en avait retiré beaucoup d'amertume, puisque son approbation avait donné du poids à la décision qu'avait pris son père la concernant ; mais elle était trop révoltée pour en reconnaître le bien-fondé. Isabelle avait pourtant, jusqu’à ce jour, une confiance totale en cet esprit sacerdotal, réfléchi, pondéré, un peu froid d’apparence, mais tellement vrai dans ses propos. Il avait, jusque maintenant, su la guider dans ses choix de vie. Il avait su, aussi, l’inspirer, et pour toujours la diriger avec justesse et prudence, empêchant tout débordement de sa part. Mais là, quelque chose en elle s’était comme fracturé. A cet instant, peu lui importait le secret de la confession. Ce qui lui tenait à cœur, était sa profonde conviction concernant le tragique accident de sa mère, morte dans des circonstances plus qu'improbables pour elle. Bien sûr que l’abbé n’y était pour rien ! Il ne pouvait pas connaître les doutes qui l'habitaient depuis déjà quelques temps et pour qu'elles raisons est-ce que son père lui avait caché ce tragique accident pendant toutes ces années. Isabelle partait parce qu’elle ne pouvait faire autrement. Elle s’était donc résignée, décidée à tirer le meilleur parti de cet exil forcé, enfermant son chagrin au tréfonds d’elle-même devant Adélaïde qu’elle devinait assez satisfaite de redécouvrir Verte-court.

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    Adélie avait passé des jours heureux auprès de Daphné, sa jeune élève devenue demoiselle, puis jeune mariée. La brave Adélie avait suivi son élève à Monteuroux comme dame de compagnie pendant onze ans, et elle était restée sa confidente jusqu’à cet accident stupide  encore inexpliqué jusqu'à ce jour. 

    Une huitaine avant son départ, alors qu’elle finissait de déjeuner avec Adélaïde, la femme de chambre de la d’Argenson, se présenta, envoyé par Mr de Rubens qui intimait à sa fille, l’ordre de faire, ce jour même, une visite de départ à la mère de son cousin-germain.

     Berthe dit froidement à la jeune comtesse : 

    — Mr le comte m’a chargée de recommander à Mlle de s’habiller convenablement pour rendre visite à votre parente. 

    Isabelle toisa celle qui lui parlait ainsi. Sa physionomie impassible et ses yeux glacés lui étaient franchement désagréables. Isabelle lui répondit sur un ton qui se voulait bien au dessus de celui qu’avait employé la servante de sa marâtre :

    Vous direz à Mr mon père, si je puis encore l’appeler ainsi, que je n’ai nullement l’intention d’aller nu-pieds à Aigue-blanche, et que pour cette occasion, avant mon départ, afin de laisser une bonne impression, je vais aller acheter une jolie robe, une paire de chaussure à la mode ainsi que des bas neufs. Je ferai inscrire tous ces achats sur son compte, car il n’a pas donné assez d’argent pour mes frais d’adieu aux personnes à qui il désire que je face des courbettes. Vous lui direz également que je m’habillerais et me coifferais en conséquence afin de faire bonne impression. Je serais d’une amabilité surprenante et sans faille pour l’occasion. Ah ! Dites-lui également, que les quelques billets donnés à Adélaïde pour mon trousseau, ne sont pas suffisant. Il comprendra.

    Berthe eut une sorte de rictus en répliquant, imperturbable, avec une pointe d’ironie dans la voix :

    Je le lui dirais, Mlle. Comptez sur moi.

    Mais, j’y compte bien ! Vous pouvez disposer !  Allez !

    La servante sortit de la pièce avec un air pincé. Son mécontentement était visible et Isabelle en était satisfaite. Tout aussitôt, la jeune comtesse se leva de table en murmurant :

    Cette femme à des yeux affreux et sans expression ! Je déteste la regarder !

    C’est curieux, dit Adélaïde ? Votre mère avait la même impression que vous lorsque, dans les derniers moments de sa vie, elle devait lui parler. Votre mère évitait de la regarder, tellement ces yeux, semblables à une eau profonde et glacée, lui étaient insupportables. Cependant, elle reconnaissait que son service était irréprochable et qu’elle se montrait fort complaisante quand aux ordres donnés. Quinze jours avant sa mort, comme Émilie était malade, Mr de Rubens l’avait pratiquement persuadé d’accepter l’offre de Mme la vicomtesse d’Argenson qui proposait que sa femme de chambre dont elle n’avait guère utilité chez Mme de la Chamalière, vint faire le remplacement. Votre mère avait accepté de mauvaise grâce. Néanmoins, elle avait quelques réticences à l'employer et elle avait hâte de retrouver sa bonne vieille Émilie à qui elle s’était beaucoup attachée. Hélas ! Elle ne devait plus jamais la revoir !

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    Une heure plus tard, Isabelle et Adélaïde descendaient l’escalier de la vieille tour. Au rez-de-chaussée, une porte donnait dans une galerie ornée de bustes en marbre et de vieilles tapisseries par lesquelles on arrivait directement dans le vestibule de château neuf. De là, on descendait trois marches de marbre dans la cour d’honneur au centre de laquelle des parterres de petites fleurs mauves finissant leur pleine floraison, laissaient un très beaux tapis de sol verdoyant, entourant un bassin rond toujours en fonction. Dans l’eau où se miroitait une lumière d’un début d’après-midi, se mirait une mélancolique jeune femme qui représentait quelque personnage mythologique. Dans un des parterres, le vieux jardinier binait autour des plantes pour aérer le sol tout en retirant les mauvaises herbes. Au passage d’Isabelle et de sa compagne, il se redressa tant bien que mal, montrant un visage ridé, sec et terreux. Ses yeux tout plissés sous ses paupières avaient du mal à distinguer les deux passantes, mais il marmonna un vague :

    Bonjour, demoiselles.

    Bonjour, père Adrien, répondit Isabelle.

    Quand elles eurent dépassé l’homme, Isabelle ajouta à mi-voix :

    Quel drôle de bonhomme ! Il a un peu une tête de hibou, ne trouvez-vous pas Adélie ?

    C’est en effet, ce à quoi, je pensais. II lui arrive même de travailler la nuit, quand il y a un peu de lune pour l’éclairer. Le pauvre homme a toujours été assez bizarre. En y songeant, je peux dire qu’il n’est guère causant ; mais c’est un bon jardinier et très discret.

    Tout à l’extrémité, encadrant la vielle tour, des bâtiments bas aux toits d’ardoise, servaient de communs. La petite maisonnette du portier était maintenant occupée par Dominique qui accomplissait cet office depuis que le comte Rudolph lui avait offert l’opportunité de remplacer le précédant titulaire devenu trop âgé. C’est donc Dominique qui avait, maintenant, la charge de portier comme du vivant de la vieille comtesse. Sa sœur faisait le ménage de la vieille tour et s’occupait également de préparer les repas pour Victoria, Isabelle et Adélaïde. Angèle faisait également office de femme de ménage. Il n’était pas rare que la domesticité porte plusieurs casquettes dans les domaines trop grands à entretenir, et aux revenus amoindris par la conjoncture économique du moment. Les châtelains en étaient réduits à diminuer leur personnel ou à doubler leur temps de service avec les mêmes émoluments.

    Isabelle et Adélie marchait sur le chemin, le long de la rivière, il y avait encore de l’ombre, et l’eau proche envoyait jusqu’à Isabelle un peu de fraîcheur. A deux kilomètres du village, Adélie et elle prirent un chemin plus étroit qui longeait la grille du château de Mme de la Chamalières. Par endroit, la route s’élevait légèrement, s’enfonçant sur cent cinquante mètres dans les bois où principalement poussaient de majestueux hêtres, puis se retrouvait, de nouveau, à découvert jusqu’à Aigue-blanche.

     

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    Deux vieux piliers de pierres grises se dressaient de chaque côté de l’entrée où il n’y avait pas de barrière. On pénétrait librement dans l’allée herbeuse, sous l’ombre de chênes centenaires. Ceux-ci formaient deux rangées qui se faisaient face à droite comme à gauche, laissant entrevoir des prairies parsemées de bosquets leurs faisant suite et qui étaient traversées par un fossé assez profond où coulait une eau claire provenant d’une source ayant jailli spontanément dans le parc depuis nombre d'années. En effet, tout au bout de l’allée séparée d’elle seulement par une cour pavée, entre deux balustrades verdies par la mousse, se dressait la longue maison reconnaissable à ses épais murs de pierres couverts de vigne vierge avec ses tourelles avançant entre les deux corps de logis.

    Une voûte à la droite du rez-de-chaussée, faisait communiquer la cour avec un jardin situé derrière le grand manoir et où se trouvait aussi les communs. Isabelle sonna à la porte de la tourelle. Une servante en tenue vint ouvrir. Elle introduisit les visiteuses dans le salon où se tenait habituellement la famille. La pièce était très grande. Elle était éclairée par trois portes-fenêtres habillées de tentures en toile de joui aux couleurs passées. Ces portes-fenêtres ouvraient sur le jardin. Le salon était agrémenté de meubles d’époque, piqués, mais qui avaient encore belle allure. La mère de William écrivait à son bureau. André, dans son fauteuil d’infirme, soignait la patte d’un des chiens de William, sur laquelle était passée la roue d’une charrette à foin.

    Isabelle aimant les bêtes, lui proposa son aide. Ainsi, échappait-elle à la conversation avec Marie-Catherine de Rubens dont l’accueil manquait de cordialité. Celle-ci s’entretint avec Adélaïde sur le départ prévu de la jeune fille pour l’Angleterre où elle y avait, elle-même, passé quelques années durant sa jeunesse. Une fois leur conversation terminée, la mère de William fit apporter des rafraîchissements.

    Isabelle, ayant pansé adroitement la patte du chien, s’adressa aimablement au jeune homme afin de lui prodiguer des conseils concernant le suivi de la patte accidentée de l’animal. Très attentif à la douceur de ses gestes envers le berger allemand, André lui en fit compliment. N’ayant pas l’habitude de recevoir des marques d’attention, Isabelle rosie de confusion puis, laissant là le chien qui ne pouvait plus se déplacer facilement, elle alla s’asseoir près du jeune homme lorsque la comtesse l’interpella avec un sourire où passait clairement de l’ironie.

    Dites-moi, petite. Que de frais avez-vous fait en toilette ! Pour une fois, votre père vous a gâté !

    Isabelle répondit poliment avec un sourire courtois :

    Disons… que je me suis gâtée toute seule sur son compte, ne pouvant me présenter comme une souillon chez vous, ainsi que chez mon Oncle, Lord de Montaigu-Meldwin. Ce ne sont pas les quelques deniers qu’il à daigné donner à Adélaïde afin de me confectionner un nouveau trousseau en vue de mon départ, qui on put couvrir le reste de ce que je porte aujourd'hui pour me présenter chez vous, et vous faire avec courtoisie mes adieux pour six ans…

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    La comtesse eut un pincement aux lèvres, ce qui démontrait son déplaisir concernant la réponse souriante, malgré les sous entendus si aimablement distillés d’Isabelle ; mais la jeune fille ne tînt pas compte de son air irrité, et se prêta au jeu afin de leurs montrer qu’elle n’était pas du tout celle que sa belle-mère prétendait qu'elle était. Marie-Catherine de Rubens se fit un plaisir de la taquiner avec mépris pour voir jusqu’où la jeune comtesse saurait se conduire.

    Puisque ma fille n’est pas là, si vous la remplaciez pour nous servir le goûter, ma petite ?

    Isabelle surprit la châtelaine en répondant avec beaucoup de douceur dans la voix :

    Je ne demande pas mieux, Mme, mais avant, puis-je aller me rincer les mains, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. J’ai pensé le chien, et mes mains ne sont pas saines pour vous servir.

    Allez-donc ma petite. Ma domestique va vous montrer les dépendances.

    Après s’être lavée les mains, Isabelle revint au salon.

    Vive et adroite, avec de souples mouvements pleins de grâce, Isabelle versa le sirop que la châtelaine avait préparé. La comtesse était une ménagère très experte, et elle observait les moindres gestes de la jeune fille. Celle-ci présenta les gâteaux confectionnés par Juliette, et demanda à Isabelle de faire le service. Avec une évidente surprise, les yeux de la comtesse ne la quittaient pas.

    Elle dit à mi-voix, s’adressant à Adélaïde :

    Je la croyais brusque et maladroite, mais je suis très surprise ? Elle ne semble pas cette petite sauvageonne décrite par Mme la comtesse de Rubens et sa fille ? A bien y regarder, il n’en est rien. Elle s’en tire vraiment fort bien ! Et je n’avais jamais remarqué ses jolies mains qui sont d’une finesse aristocratique !

    C’est un héritage maternel, précisa Adélaïde. La pauvre chère Daphné avait des mains admirables, si vous vous en souvenez ?

    Il est exact qu’elle avait de très belles mains ! Par ailleurs, Isabelle ne lui ressemble pas. Juste sa chevelure rappellent les très beaux cheveux de sa mère. Elle a plutôt le type des de Rubens. Il est très heureux que son père se soit décidé à l’envoyer en Angleterre. Ce séjour, là-bas, lui fera le plus grand bien.

    Sans en avoir l'air, la jeune comtesse prêtait attention à ce qu'il se disait la concernant. Décidément, il semblait que tout le monde était du même avis sauf André comme Isabelle s’en rendit compte un peu plus tard, lorsque les jeunes gens se retrouvèrent seuls, la comtesse ayant invité Adélaïde à venir au jardin pour admirer ses composions. Isabelle put alors converser avec le jeune infirme sans aucune oreille indiscrète.

    Cela doit vous ennuyer beaucoup de quitter Monteuroux ? Demanda-t-il.

     Le visage d’Isabelle se rembrunit lorsqu'elle dit brièvement :

    Beaucoup, en effet ; mais je garde pour moi ce que je ressens. Cela leurs donnerait beaucoup trop de satisfaction de connaître la profondeur de ma peine. Je ne tiens pas à leur faire ce plaisir. 

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    Ne pourrait-il y avoir d’autres solutions vous permettant de terminer vos études et votre éducation sans quitter Monteuroux.

    Évidemment, oui ! Bien sûr qu'il y aurait d’autres moyens ! Mais qui donc se soucie que je sois plus ou moins loin ? Il paraît que je suis, selon les dires de ma belle-mère et de la fiancée de votre frère, une très désagréable personne. Tout ce beau monde ne me supporte pas. Vous ne devez pas l’ignorer André ? L’on m’exile tout simplement parce que je suis indomptable et de ce fait, indésirable.

    L’ironie perçait à travers les mots de la jeune fille. Pendant un moment, André la considéra en silence, pensif, puis il demanda :

    Ainsi, vous ne serez pas là pour le mariage de Ludivine et de William ?

    Les lèvres d’Isabelle frémirent un peu avant de s’entrouvrir pour répondre froidement :

    Sans doute n’a-t-on aucun désir de me voir présente à ce mariage de peur que je ne me comporte pas comme ils aimeraient que je me conduise puisque l’on me fait partir avant. D'ailleurs, cela s’accorde fort bien avec mes sentiments. Il m’est impossible de me réjouir de voir mon cousin unir son destin à celui de la fille de ma belle-mère.

    Vous n’aimez pas Ludivine ?

    Non. Et d’ailleurs, elle et sa mère me le rendent bien comme mon père qui est à leur dévotion. Il consent même à ce que je ne sois pas auprès d’eux pour la cérémonie de peur que je leurs fasse honte… Ce qui montre bien son désir de ne pas me voir à ce mariage est que, aucune toilette en rapport avec la cérémonie n'est prévue pour ma petite personne, ce qui en dit long sur leurs intentions.

    La brusque franchise d'isabelle ne parut pas choquer André. Ses paupières mi-closes, il s’enfonça un peu plus dans son fauteuil. Isabelle considérait avec sympathie ce mince visage qui ne lui était pas hostile. Bien qu’elle ne le connût que très peu, il lui semblait qu’une vie intérieure l’habitait et qu’il était dénué de méchanceté. Elle rencontra tout à coup ses yeux bleus qui ne se cachaient plus derrière ses paupières. Ce fut un jeune homme très direct qui lui posa la question brûlant ses lèvres depuis quelques minutes.

    Je suis au courant que vous ne vivez pas près de votre père. Pourquoi ?

    Cette fois Isabelle s’enferma dans son mutisme coutumier lorsque quelque chose la dérangeait. André n’insista pas sur le sujet qui, clairement, embarrassait la jeune fille.

    Se parlant à lui-même, André fit un constat qui ne surprit pas Isabelle :

    Je me demande si William sera heureux dans ce mariage...

    Perdu dans cette vie toute intérieur, ses maigres doigts tapotaient les accoudoirs de son fauteuil. Ses yeux paraissaient perdus dans le vague. Une note d’angoisse perlait dans sa voix.

    Je ne sais quoi, chez elle... oui, quelque chose ne va pas... Quelque chose en elle sonne faux... A mon avis, elle n’est pas une femme pour mon frère... Il tient à faire plaisir à notre mère, mais j'ai bien peur qu'il ne regrette un jour ce mariage...

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    Isabelle, les mains croisées sur sa robe, tremblait imperceptiblement. Elle dit avec un petit rire qui ne se voulait nullement agressif, mais qui, pourtant, l’était :

    Il y a au moins une personne qui a les yeux ouverts sur ce qui est choquant chez cette demoiselle ! Je ne suis pas la seule à m’en être rendu compte. C’est rassurant ! Si William pouvait ouvrir les yeux ?

    Voulez-vous bien m’en dire un peu plus s’il vous plaît ?

    Il n’est nul besoin que je vous explique, vous avez  tout saisi puisque vous m’en parlez. Et puisqu’elle plaît à votre frère, que c’est son choix, que pouvons faire ou dire qui  pourrais aller à l'encontre de sa volonté ? Elle est jolie et elle a de la fortune.

    Mais la fortune n’est pas tout pour William.

    Ce n’est pas tout, mais cette alliance est peut-être beaucoup pour votre mère.

     Si Ludivine ne lui plaisait pas, il n’aurait pas accepté de l’épouser même si le souhait de ma mère était en faveur de cette union.

    Sans doute ; mais il y a ma belle-mère qui va devenir la sienneelle peux, de par sa fille, avoir l’œil sur les deux domaines puisque elles porteront le même patronyme… Qui sait ce qu’il peut arriver par la suite ?

     Soudain inquiet, le jeune homme tourna vivement la tête vers Isabelle.

    Vous voyez les chose de cette façon ? Mais si c’est, en définitif, son choix, alors, que peut-on faire pour l’en dissuader ?

    — Il n'y a rien à faire, malheureusement, que ce soit un mariage de raison, ou pas ? Si Ludivine ne lui plaisait pas, il n’aurait pas accepté de l’épouser. Il a un fort caractère et ne se laisse pas manipuler contre son grès.

    Isabelle, dubitative, mais ne voulant pas envenimer leur conversation, laissa planer le doute qu’elle ressentait tout au fond d’elle-même, ce qui n’échappa pas au jeune homme.

    A cet instant, la comtesse et Adélaïde rentrèrent de leur agréable visite, interrompant les jeunes gens dans leur conversation. Les visiteuses prirent congé. Marie-Catherine de Rubens embrassa Isabelle du bout des lèvres en lui souhaitant de revenir transformée en une jeune fille parfaite telle qu'à ses yeux,  l'est Ludivine.

    Ce à quoi Isabelle riposta avec ironie :

    Sur ce point, je suis bien certaine de vous décevoir, ma cousine.

    L’impression qu’elle avait donné en se conduisant, comme en avait été surprise la maîtresse des lieux, s’effaça aussitôt. Isabelle vit, pour la seconde fois, se pincer les lèvres fines de la comtesse, et les yeux lavande devenir froidement désapprobateurs. Elle ne put s’empêcher de faire une remarque à la hauteur du mépris qui avait reprit le dessus, confirmant ce qu’elle pensait de l'adolescente.

    Hélas ! Je le crains, en effet.

    Isabelle ne s'en formalisa point. En retour, elle lui adressa un large sourire sans se départir de son aplomb et 

    surenchérit à l’attention de la comtesse  Marie-Catherine :

     

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    Vous pouvez le craindre et ne pas vous faire d’illusion, chère cousine, car je n’aime pas l’hypocrisie, les médisances et tous les défauts qui vont avec… Si c’est ce que vous appelez se conduire avec bienséance et courtoisie ! Alors, j’ai bien peur que vous ne soyez encore une fois déçue.

    Elles se séparèrent sur ces mots lourds de sens. André, le regard pensif, suivit Isabelle qui sortit du salon, pressée de s’en aller de ce lieu ou, tout à coup, l’atmosphère était devenu pesante. Quand Isabelle et sa marraine se furent suffisamment éloignées, Catherine de Rubens dit avec dédain :

    Quelle nature peu intéressante ! Je crains qu’il ne soit bien trop tard pour redresser une jeune fille aussi rétive aux convenances.

    Vous trouvez, maman ? Pourquoi ? Parce qu’elle à de la répartie ? Qu’elle ose dire ce qu’elle pense ? Vous dites qu’elle est peut intéressante ? Elle me semble, au contraire, singulièrement intelligente, très clairvoyante, instinctive et ce qui ne gâche rien, très adroite de ses mains. Je sent, chez elle, une loyauté, doublée d'une droiture peu commune... C’est une chose si terrible que la fausseté ! Il n’y a pas que les convenances qui comptent aux yeux de cette jeune fille si c’est uniquement les défauts de ses dames dissimulés derrière une apparente et fausse amabilité. Cette jeune fille est foncièrement honnête dans ses propos, et elle ne montre d’elle que ce qu’elle à envie que l’on voit. Je peux vous dire qu’elle va nous réserver bien des surprises lorsqu’elle sera de retour d’Angleterre… vous avez une fausse opinion d’elle, mère, et comme vous avez une fausse opinion sur votre future belle-fille et sa mère.

    Frappée par le ton de son fils, la comtesse le regarda avec surprise. Que celui-ci ne soit pas de son avis la choquait. Elle perçut dans les yeux graves d’André de l’angoisse, mais il n’était pas dans sa nature d’approfondir les pensées d’autrui, fût-ce celles de son fils. En se dirigeant de nouveau vers son bureau pour reprendre l’occupation qu’elle avait interrompue à l’arrivée des visiteuses, elle dit seulement :

    Que peux-tu connaître d’elle, mon cher André ? Tu ne la côtoie que depuis peu de temps. Il n'est pas possible que tu ais déjà deviné ce que j'ai mis des années à comprendre !

    J’en ai suffisamment perçu pour me rendre compte de certaines de ses qualités qui, apparemment, vous dérange et dérange pas mal de personnes autour de vous, ne sont que de vulgaires préjugés

    — Que veux tu dire par là ? Que je juge trop vite sur les apparences  et que toi, non ?

    Il est vrai que tu n’as que cela à faire !  Il te suffit d'observer les gens…

    Ce que vous dites là, maman, est blessant. C'est vous qui m'avez mis au monde. C'est à vous que je dois mon infirmité... aux mariages entre membre d'une même famille pour garder terres et fortunes. Les consanguinités ont fait de moi ce que je suis. Oui, j'ai le temps d'observer et non pas de me fier aux faux semblants des personnes que je fréquente...

    — Oses-tu me reprocher ta naissance ?

    — Vos remarques valent bien la phrase déplaisante que je viens de vous lancer ! Au moins, je ne me laisse guère influencer par la comtesse et encore moins pas sa fille qui me semble aucunement faite pour William.

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    Elle est mesquine, fausse, coquette et très intéressée pour le peu que j’ai pu en juger. Je ne la connais pas bien, mais je ne vois pas mon frère heureux avec cette personne… Autrement dit, il n’y a que vous la comtesse de Rubens et son mari, qui pensez que ce mariage est juste ?

    Je t’interdis de revenir sur ce que j’ai décidé ! Le mariage de ton frère se fera parce qu’il le faut !

    Alors, vous avez tout dis, mère… peu importe le bonheur de William qui, j’en suis sûr, ne touchera pas à la dote de cette jeune fille. Réfléchissez maman. Croyez-vous que mon frère l’aime ? Je ne le croie pas.

    Ce soir-là, lorsque qu’Isabelle, eut souhaité le bonsoir à Adélaïde et qu’elle fut dans sa chambre, elle demeura un long moment devant le portrait de sa mère. Un pastelliste l’avait représentée en blanche toilette de soirée, avec, accrochée à son corsage et dans ses longs cheveux blonds relevés en un chignon bouclé laissant échapper quelques mèches, une fleur de nénuphar. Il avait su rendre la finesse de ses traits et la délicatesse de son teint agréablement assortit à la rêveuse douceur de ses yeux bruns.

    Son doux regard semblait suivre Isabelle chaque fois qu’elle se déplaçait dans la pièce, ce qui lui faisait dire :

    Oh ! Mère, vous avez cet air triste parce que je vais vous quitter pour un temps ? ! Vous me manquez déjà tant, maman ! Je vais  partir de Monteuroux pour un très long séjour.  Une pension  m'attend chez votre frère. Je ne suis pas en odeur de sainteté auprès de la nouvelle femme de père et de sa fille, pas plus que de son côté. Je dérange dans la façon de me comporter que je juge tout à fait pertinente, ayant percé à jour le machiavélisme de ma marâtre. Vu ce que j’ai découvert concernant ses manigances afin de m’évincer du cœur de père. Je dois vous avouer que je n’approuve pas son remariage avec la d’Argenson, et que je ne supporte pas plus sa fille. J’ai eu largement le temps, depuis toutes ces années passées seule aupré d’Adélie, de me faire ma propre opinion sur elles deux. Pour accéder aux moindres désir de Mme d’Argenson qui ne m’aime pas, et je le lui rend bien, père a décidé que je devais partir de Monteuroux finir mes étude en Angleterre chez votre frère. J’ai beaucoup de peine de vous quitter maman.

    Isabelle avait les larmes au yeux en pensant que dans quelques jours, elle connaîtrait le reste de sa famille. Le frère aîné de Daphné, Sir de Montégu-Meldwin, homme froid d’apparence, mais juste et bon d’après Adélaïde, et ses cousins germains qu'elle ne connaissait pas, devraient devenir ses nouveaux compagnons d’études, d’éducation et de jeux, si tant est qu’ils arrivent à s’entendre. Dans quelques jours, elle serait à Verte-court, le domaine où Daphné avait passé une grande partie de son enfance et sa jeunesse.

    Par Adélaïde qui connaissait déjà très bien son oncle, peut-être y retrouverait-elle mieux le souvenir de sa douce et tendre mère ? Un désir subit lui fit décrocher le portrait de Daphné qu'elle décida de cacher dans sa valise. Elle ne pouvait rester six ans sans l'avoir aupré d'elle.

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    Dans ce Monteuroux qu’elle avait habité seulement pendant les mois d’été, ce Monteuroux qu’en vérité, la jeune comtesse n’aimait pas du temps de sa courte vie, Isabelle n’avait pas beaucoup de souvenirs des jours heureux qu’elle avait dû vivre entre son père sa mère... et ce cousin avec lequel elle aimait tant jouer

    A l’étage au-dessus, le violon de Victoria gémissait. Isabelle s’approcha de la fenêtre. La lune était pleine. Elle éclairait fantastiquement la vallée endormie. Il n’y avait pas un brin de vent. La végétation immobile formait des ombres qui se détachaient dans la nuit éclairée. Tout se confondait en ce soir de pleine lune... Une nuit comme celle-ci ou Daphné de Rubens était sortie du château, sans son mari, pour se diriger vers le parc ou l'étang-aux-ormes révélait toute sa beauté romantique, offrant son miroir d'un noir envoûtant ou des cygnes d'un blanc immaculé dormaient se souciant peu de leur plumages qui se reflétaient dans cette eau sombre... et puis...

    Isabelle frissonna en imaginant sa mère en train de se noyer. La belle nuit claire lui parut tout à coup sinistre. Une deuxième plainte déchirante échappée du violon de Victoria, tendit ses nerfs à l’extrême. Des larmes roulèrent sur ses joues.

    Oh ! Maman ! Dit-elle tout bas. Que tu me manque ! Je ne suis pas aimée dans ce château. Père m’a délaissé depuis que tu es partie...

    Ses yeux erraient sur la vallée endormie et sur les bois silencieux. Vers la droite, le grand manoir d’Aigue-blanche qui avait dû assister à des festivités du temps de sa splendeur, se cachait derrière de grands chênes  centenaires qui avaient, eux aussi, dû vivre certaines transformations que dame nature réserve souvent à la planète.  Isabelle songeait que Catherine de Rubens avait décidé à les faire abattre à un moment où elle se trouvait vraiment dans une situation financière plus que précaire. Mais un tel sacrifice ne semblait plus être autant d'actualité, puisque William allait épouser Ludivine... et sa fortune.

    — Mon cousin est vraiment étrange... Pensa la jeune comtesse.

    Cet après-midi, en quittant le manoir d'Aigue-blanche, Adélaïde et elle, l’avait rencontré qui revenait accompagné de sa sœur Juliette lors d’une promenade à cheval qui se terminait. Tous deux avaient dit adieu à Isabelle la veille. La jeune Juliette avec sa cordialité habituelle et lui, froidement. Il avait, en cette fin après-midi, cet air lointain qu’on lui remarquait souvent et semblait guère heureux de les rencontrer. Comme Adélaïde lui souhaitait ses vœux de bonheur à l’occasion de son prochain mariage, il lui avait répondu sur un ton sec :

    Merci.

    Isabelle avait remarqué son air peu avenant ; mais elle n’avait rien dit concernant cette union qu'elle n'approuvait pas. De ce qu'elle aurait pu dire qui aurait sonné faux, elle n’en pensait pas un mot. De plus, Ayant été évincée de la cérémonie, rien ne la forçait à lui souhaiter joie et bonheur, vu le ton employé par William pour remercier sa marraine. L'air peu avenant qu'il affichait, lui donnait aucunement l'envie de se faire rabrouer ! S'abstenir était la meilleurs solution. Avait-elle rêvé sa mauvaise humeur ? Isabelle savait lire dans son regard, et elle avait, juste un instant, cru voir dans ses yeux tournés vers elle l’espace d’une seconde, une étrange expression de perplexité, d’angoisse et de doutes. Elle le sentait anxieux, loin d'être satisfait de ce mariage arrangé. Dans son fort intérieur, après la scène dont elle avait été témoins près de l’étang, Isabelle avait deviné que William ne se mariait guère de gaîté de cœur. Qui donc l’avait forcé à redonner sa parole à Ludivine, si non la d’Argenson, sa mère, et à n'en pas douter, son propre père qui avait dû user de toute sa force de persuasion pour faire céder son cousin. Isabelle sentait au fond d'elle-même que William n'était pas satisfait d'avoir été obligé de prendre pour femme, contre son grès, celle qui lui était destinée.

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    Le jeune homme avait dû céder sous la pression de tout ce monde, sans compter Ludivine qui était comédienne dans l'âme, et qui avait dû pleurnicher pour qu’il l'accepte de nouveau officiellement comme sa fiancée. Suite à leur désaccords et cette parole si brusquement reprise lord de leur dispute sur les berges de l’étang. Isabelle en avait conclu, ce jour-là, que William n’était pas et ne serait jamais heureux avec cette peste habituée à ce qu’on lui cède tous ses caprices.

    Depuis un moment, le violon de Victoria s'était tu. Devant la fraîcheur de cette belle nuit silencieuse et claire, l’âme d’Isabelle s’apaisait un peu. Comme chaque soir, elle joignit les mains et fit sa prière les yeux tournés vers l’église dressée depuis plus d’une centaine d’année sur le piton rocheux, juste au-dessus du village. Cher paysage familier que bientôt elle ne verrait plus. Elle s’écarta de la fenêtre d’un vif mouvement, et prenant au passage une écharpe jetée sur le vieux fauteuil, elle se dirigea vers l'entrée de sa chambre comme poussée par un je ne sais quel appel mystérieux semblant venir de l’intérieur de son être. Puisque elle allait bientôt quitter Monteuroux, en cette soirée, il lui fallait contenter un désir irréalisé jusqu’alors. Elle voulait voir le parc au clair de lune où se trouvait l’étang comme le faisait sa mère de son vivant. Sans bruit pour ne pas éveiller l’attention d’Adélaïde, elle se glissa hors de la vieille tour. Au dehors, elle se retrouva dans une atmosphère onirique.

    Les vieux bâtiments sombres, les parterres, la terrasse avec son miroir d’eau donnaient l’impression d’un paysage fantasmagorique.

    Dans le parc, des coulées de lumière argentée se glissaient parfois entre les feuillages, éclairant la pénombre de l’allée où s’engageait Isabelle. Bien qu’elle ne fut pas peureuse, elle préférait, à cette heure, prendre le plus court chemin au lieu des petits sentiers qu’elle choisissait à son habitude. La jeune comtesse passa devant une ancienne maison forestière nichée au milieu d'une clairière où habitait depuis bien des années Adrien le vieux jardinier.

    Le sol moussu amortissait le feutré de ses pas. Une fraîcheur humide aux senteurs déjà automnales, venait des sous-bois touffus que la lumière nocturne n’atteignait pas. L’allée se rétrécit, puis tourna, et la pièce d’eau apparut paisible, brillante et mystérieuse. Isabelle s’arrêta un moment, le cœur oppressé. Depuis qu’elle était sortie de la tour, dans le parterre, à travers le parc, et le long du chemin suivi, autrefois par sa mère, elle sentit une présence, comme-ci elle marchait avec le clair fantôme de la chère disparue à ses côtés. Isabelle n’avait pas peur. Cette douce présence la réconfortait. Ainsi, pareil à sa fille, un soir comme celui-ci, Daphné avait emprunté le même chemin.

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    Isabelle, pensive, respirait l’air de la nuit, dans le clair-obscur du chemin embaumant l'odeurs particulières de la mousse des bois. Tout naturellement, elle s’était retrouvée devant cette eau semblable à un sombre miroir. Elle se sentait presque comme attirée vers l’étang, juste à l’endroit même où flottaient les beaux nénuphars blancs au cœur jaune pâle. Un cri de surprise s’étouffa soudain dans sa gorge. Du pavillon donnant sur l'étang, venait de sortir une femme vêtue de noir. Elle s’en allait le long de la berge à pas lents pour soudain s’arrêter juste à l’endroit où se découpait sur l’eau immobile le feuillage stagnant des nénuphars. Isabelle ne voyait pas son visage, mais elle distinguait nettement sa taille déviée et la bosse qui déformait son dos. C'était sa tante Victoria de Rubens qui, selon son habitude, se promenait la nuit dissimulant ses formes à la vue de quiconque s’aventurerait de ce côté-ci du domaine. Son infirmité la rendait méfiante et de ce fait, farouche. Les rayons lunaire éclairaient juste l’endroit ou elle s’était arrêtée. Son profil se découpa net, sculptural et d’une blancheur de marbre. Isabelle n’avait jamais eu l’occasion de voir sa tante, mais elle savait qu’elle était très belle de visage. Ce soir, par un pur hasard, elle avait ce privilège de pouvoir en juger par elle-même pendant le court instant ou Victoria demeurait là, regardant l’eau, figée telle une statue. Sans savoir qu’Isabelle l’observait, Victoria de Rubens reprit sa marche le long de la berge. La jeune fille suivit un instant des yeux la silhouette déformée qui s’éloignait de l'étang pour enfin disparaître. Une grande pitié pénétra le cœur de Isabelle peinée de ne pas pouvoir venir en aide à cette femme murée dans sa souffrance et son austère solitude. Une orgueilleuse, une révoltée... Oui... sans doute... Une âme malheureuse ? Bien certainement… La pensée d’Isabelle dévia insensiblement de sa tante vers sa mère. Victoria avait elle été présente dans le pavillon le jour de l’accident ? Avait-elle remarqué quelque chose d’anormal, ou tout simplement, n’était-elle plus parce que déjà rentrée de sa promenade lorsque sa mère était tombée dans l’eau poussée par des mains meurtrières ? Pendant quelques instants, Isabelle imagina l’étang mettre fin à la vie de sa chère et tendre mère.

    A ce moment, il lui sembla entendre, une longue plainte. Elle tendit l’oreille en évitant même de respirer. Son cœur battait à tout rompre. Elle épiait le moindre frémissement dans les arbres, mais tout était silencieux. Pas le moindre souffle d’air dans ce soir de fin d’été humide et chaud à cette heure avancée de la nuit. La plainte se fît, de nouveau entendre, mais cette fois, plus près d’elle. Le bruissement d’un tissu qui se déchirait fut bien distinct dans ce silence inquiétant. Une voix douce se fit entendre, prononçant très clairement son prénom. Isabelle chercha d’où pouvait bien venir cette voix ? Ses yeux essayèrent de percer la nuit pourtant lumineuse, mais elle eut bien du mal à distinguer à qui appartenait la voix qui lui semblait venir d'outre-tombe. Ce fut à cet instant précis qu’elle aperçut, comme en transparence, une silhouette vêtue d’une longue robe bleu pâle et dun châle du même ton qui semblait glisser sur le côté de son corps, découvrant, ainsi, une de ses épaules.

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    La silhouette s’avançait, légère, sous le halo de la lune. Ses longs cheveux blonds descendaient jusqu’au bas de ses reins. Tout en avançant vers elle, l’apparition semblait flotter au-dessus du sol. Surprise, mais sereine, Isabelle ne ressentait aucune peur.

    Pour le coup, cette apparition lui parut encore plus surnaturelle que la première fois, lui rappelant en tous points sa mère. Elle se souvenait parfaitement d’elle, car une enfant de six ans ne peut oublier les traits de sa maman. Isabelle n’avait pas peur. Son esprit était calme. Elle se surprit à murmurer :

    Oh ! Maman, cela ne peut être toi ? Tu n’es plus avec nous depuis tellement longtemps. Serait-ce possible que le seigneur te permette de m'apparaître pour pouvoir, sur cette terre, m'avertir de ce qui se passe dans ce château et m'aider à découvrir ce qui est réellement arrivé la soirée de ton décès ?

    Puis, pour elle-même :

    Je dois rêver ? Deviendrais-je folle ? Stoïque, Isabelle, ne chercha pas à fuir devant l’apparition, mais elle restait dubitative.

    La silhouette continua d’avancer en murmurant pour la seconde fois son prénom, suivit d’une phrase très audible, alors que l’apparition ne semblait ne pas remuer ses lèvres.

    Isabelle, ma chère fille, n’ai pas peur. Je suis à tes côtés et te protège depuis que je suis partie de ce monde cruel. Je ne peux reposer en paix tant que le mystère de l’étang-aux-ormes ne sera pas résolu. Vas chez ton oncle, mon enfant. Tu es en danger à Monteuroux. Vas en paix chez mon frère, ma petite fille. Tu y seras en sécurité. Je serai là, à ton retour et ferai en sorte que rien ne puisse mettre ta vie en danger.

    Isabelle n’en croyait pas ses yeux, ni ses oreilles. Les paroles que sa mère venait de prononcer la laissait plus que perplexe. C’était bien Daphné, sa mère, qui la mettait en garde. Elle ne pouvait en douter. Mais en garde contre quoi ? L’apparition ne s’approcha pas davantage, mais avait compris le désarroi d’Isabelle sans que celle-ci n’ait eu à prononcer un seul mot. Comme pour répondre à son interrogation, Daphné continua de lui parler dans un murmure juste perceptible pour elle. Ses lèvres ne bougeaient toujours pas, mais les mots pénétraient son esprit sans aucune difficulté et avec une telle force de persuasion, que la jeune fille ne pouvait plus douter du réalisme de la situation. Toujours sans remuer les lèvres, Daphné continuait de lui parler doucement pour la rassurer  :

    Il y a des esprits nuisibles qui vivent au château ; mais la plus dangereuse est celle qui à détourné mon cher mari de moi. Cette ambiance malsaine flottait dans le château bien avant que je ne disparaisse. Ce sont ces mêmes esprits qui sont la cause de mon accident qui n'en est pas un. Cet esprit machiavélique à commandé les mains qui m'ont poussé. On m’a tué, mon enfant. Tu as raison dans tout ce qu tu as découvert. Je gênais quelqu’un… Tu as deviné qui est la fautive depuis longtemps, mais tu n'as pas de preuve. Depuis que ton père s’est remarié, cette femme, cet esprit diabolique et pervers, ayant un ascendant très fort sur ton père, ne te veut pas. Tu es le reproche vivant de son forfait.

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    — Mon enfant. Je t’en supplie, n’ai pas peur. Tu as besoin de mon aide pour quitter Monteuroux sans te retourner. Écoutes bien ce que je vais te dire. Je t’aiderai à tout comprendre, mais, plus tard... dans quelques années... tu seras alors plus forte pour affronter la diablesse par qui le malheur est arrivé, qui s’est emparée de mon titre de ma vie, et qui, à présent, fait sa loi. Elle commande et les résidents du château, faute de pouvoir faire autrement sans perdre leur emploi, obéissent. Elle est très dangereuse pour toi. C'est ce que j’essaie de te faire comprendre. Ne la combat pas. Tu dois t’éloigner au plus vite de Monteuroux, car j’ai peur que l’on ne te réserve le même sort que le mien, il y a maintenant dix ans. Ta vie est menacée si tu restes. Va-t’en sans te retourner. Fuis Monteuroux. Tu reviendras avec des arguments qui te serviront pour te défendre, ma chère fille...

    Sans plus une seule parole et comme par enchantement, Daphné de Rubens disparut. Isabelle entendit le bruit d’un tissu qui, pour la seconde fois, s'était déchiré sur le passage de l’apparition. Elle attendit quelques instants et s’engagea à son tour dans le chemin que venait de prendre sa mère. A peine eut-elle fait quelques pas, qu’elle trouva, accroché à un buisson, un morceau du châle bleu pâle, avec un bout de la robe que sa mère portait avant de s’évaporer dans la profondeur du parc.

    Le doute n’était plus permis. Elle avait, là, une preuve indiscutable de cette bouleversante et incroyable apparition dont elle-seule venait d’être témoin. Le temps qu’elle se remette de ses émotions Isabelle resta un long moment immobile, ne sachant que penser. Les questions se bousculaient dans son esprit. Ses pensées allaient et venaient en tous sens.

    Il fallait qu’elle analyse tout ce qu’elle venait d’apprendre par la bouche de sa mère. Le morceau de voile accompagné d'un bout de sa robe, était bien là, la preuve qu’elle ne s’était pas imaginée cette scène. Son esprit fiévreux cherchait à comprendre comment cela était possible, et comment pouvait-elle croire à cet événement surnaturel qu’elle venait de vivre ? Est-ce que cela pouvait être seulement envisageable ? Comment est-ce que sa mère, pouvait savoir qu’elle était en danger comme elle l’avait été, elle-même, le jour de son accident ? Comment pouvait-elle être au courant que son cher mari s’était remarié peu de temps après sa disparition, et qu’il ne s’était guère soucié de leur fille jusqu’à ce qu’il décide, après dix ans, sous l’influence de sa deuxième femme, qu’il était temps de se séparer d’elle en l’envoyant chez son oncle maintenant qu’elle avait atteint ses seize ans ? Était-elle vraiment devenue une menace pour la seule personne qui devait certainement être à l’origine de la mort de sa mère ? Un seul nom lui vint à l’esprit, et qui n'était autre que la machiavélique d’Argenson. Isabelle reteint une seule vérité qu’elle ne pouvait nier si elle ne s’en allait pas chez son oncle au plus vite puisque son père lui en donnait la possibilité. Elle risquait à tout moment sa vie en restant plus longtemps à Monteuroux. Sa mère venait clairement de la prévenir. Une sombre menace pesait sur elle. Isabelle devait prendre cette apparition au sérieux, même si elle avait du mal à croire ce dont elle venait d’être témoin : Tous ces détails sur l’atmosphère qui régnait au château étaient exacts.

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    Daphné de Rubens semblait être bien informée sur les événements se déroulant à Monteuroux. Un avenir plus qu’incertain concernant la jeune Isabelle pourraient très bien s’avérer exact si celle-ci persistait à vouloir tenir tête à la d'Argenson. Le comte aveuglé par l’amour qu’il portait à cette femme diabolique, n'était pas à même de deviner ce qui pouvait se tramer derrière son dos. Il y avait quelqu’un qui savait que l’accident survenu à l'étang-aux-ormes n’en était pas un, mais bien un meurtre. Qui avait commis cet acte atroce ? La première comtesse, Daphné de Rubens, ne pouvait s’en aller de ce monde, tant que sa fille ne serait pas à l’abri des mains meurtrières présentes au château, et qui avaient prémédité ce macabre assassina. Isabelle devait se méfier de sa belle-mère tant que le mystère de l’étang-aux-ormes ne serait pas résolu. Il fallait à tous prix protéger la jeune adolescente de tous les dangers...

    Isabelle, elle se devait de garder le secret des apparitions, quoi qui lui en coûte, pour mieux découvrir plus tard, la vérité sur le meurtre de sa mère. Il ne fallait rien confier de l’expérience qu’elle venait de vivre, même à la seule personne qui l’aimait comme-ci elle était sa propre enfant, mais qui n’aurait jamais compris. Isabelle se rendait bien compte que sa marraine ne pourrait se taire en sachant que sa protégée avait des visions complètement inconcevables pour elle ! La jeune adolescente comprenait très bien qu'il serait impensable que sa marraine puisse accepter que sa filleule ait des visions. Elle pourrait très bien mettre cette défaillance sur le compte de tous les événements successifs survenus depuis quelques jours dans sa vie et que cela ferait beaucoup trop pour la jeune fille... Elle pourrait penser que sa jeune protégée était en train de perdre la tête et elle n’aurait pas tout à fait tort ! Qui voudrait croire à de telles choses ? Isabelle était très préoccupée par ce qu’elle venait de vivre. Était-ce parce qu’elle avait pleuré devant le portrait de sa chère mère, et que tout son être l’avait appelé si ardemment, que celle-ci lui était apparu ? Isabelle se remémora l’après-midi où elle était partie dessiner près du pavillon, sur les berges de l’étang, et où elle avait entendu Ludivine roucouler au bras de William. Elle se souvint également du caquetage incessant de cette prétentieuse qui, appuyée sur le bras de son fiancé, sa jolie tête posée sur son épaule, avait critiqué sans vergogne sa pauvre mère disparue dans de tragiques circonstances. Elle se rappelait sa révolte qui grondait au fond d’elle après qu’ils se soient tous deux éloignés de son confort d’écoute. C’est à ce moment précis qu’elle avait entendu murmurer son prénom. Ce jour-là, elle n’avait pas vu grand-chose, à part ce qui ressemblait à un visage dans l’eau bleue marine de l’étang. Elle n’avait pas voulu prendre en compte cette vision parce que, pour elle, c’était une chose impossible, et que de petites vaguelettes ridant l’eau, l’avaient empêché de distinguer clairement l’image spectrale qu’elle avait imputé à une divagation de sa part. Que d’événements étranges, très troublants, se révélaient à elle juste avant son départ ! Isabelle se souvint, quand même, de s’être penchée plus avant vers l’eau sombre afin de mieux distinguer ce visage qui s’était peu à peu délitée dans cette nappe bleue marine plus qu’inquiétante. Sur le chemin du retour, Isabelle s’était posée mille questions sur ce qu'elle venait de vivre, sans réussir à éclaircir ce mystère.

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    Ce dont elle avait été témoin cet après-midi-là, s’était enfouit dans un recoin de son esprit ; mais cette fois, il y avait un élément qui confirmait la présence de sa mère près d’elle. Ce bout de voile et le bout de robe identique à celle qu'elle portait le soir de cette fatale promenade, était la preuve irréfutable qu'elle était toujours présente sur les bords de l'étang, et veillait sur elle. Ces deux précieux morceaux de tissus lui assuraient qu’elle n’avait pas rêvé. Isabelle se devait de les garder sur elle. Elle avait mit les petits bouts de tissu dans son corsage près de son cœur, puis elle décida afin de se prémunir contre sa raison qui pourrait vaciller, de ne plus y penser tant qu’elle ne serait pas en mesure de mettre en évidence la ou les assassins de sa mère. Cette étrange vision devait pour le moment rester secrète, bien cachée au creux de son âme.

    Sous la lune éclairant la pièce d'eau où, pour la première fois, elle venait d’apercevoir la malformation et le si beau visage de sa tante Victoria, l'avait ému plus qu'elle ne voulait se l'avouer. La beauté de sa tante l'avait beaucoup impressionné. Après que celle-ci se fut éloignée en suivant les berges de l’étang, voilà que, pour la deuxième fois, Isabelle assistait à l’apparition de sa mère. La preuve de ce phénomène surnaturel n’était plus en cause. Isabelle était seule à savoir qu’il y avait quelque chose de pas normal en ces lieux. Le visage de sa mère lui était apparu pour la première fois, dans l’eau sombre de l’étang. La raison en était certainement pour prendre contact avec elle; mais ce soir, pour la deuxième fois, très distinctement, elle l’avait clairement vu. De plus, sa mère lui avait révélé des détails qui ne pouvaient la tromper. Sa décision était prise. Elle ne confierait rien non plus à l’abbé Forges de peur qu’il ne la prenne, lui aussi, pour une personne dérangée ayant soudain perdu le sens des réalités. Certaine qu’elle n’était plus seule à se débattre au milieu de chiens et loups, Isabelle accepta l'idée que sa mère était là dans l’ombre des grands ormes, pas seulement pour élucider son assassinat, mais aussi, pour la guider et la protéger. Isabelle était sûr, à présent, que sa mère avait toujours veillé sur elle depuis sa toute petite enfance et c’était parce qu’à ses seize ans, elle l'avait trouvé assez mature et large d’esprit, qu’elle avait jugé bon de lui apparaître sans que celle-ci ait peur. Isabelle allait partir chez son oncle, résignée, mais en paix. C’était là, le sage conseil de sa mère qui, avant de disparaître, avait fait son possible pour la rassurer afin qu'elle parte l'esprit tranquille. Sa mère s'était employée à lui confier la bienveillance de son frère et l’extrême gentillesse de sa nièce et de son neveux. Comment connaissait-elle ses neveux ? Isabelle se posait la question. Serait-il possible que sa tendre mère soit au courant de tout ce qu'il se passait lorsqu'il s'agissait de sa famille ? Elle croyait en sa mère qui lui avait assuré qu'elle serait heureuse là-bas, et bien traitée. Le devoir d'Isabelle, à son retour d'Angleterre, serait d’aider sa tendre mère à trouver la paix et le repos éternel dès qu’elle serait en mesure de trouver des preuves avec l’aide de Dieu, afin de punir la ou les coupables. A son retour, le mystère qui planait sur l’étang-aux-ormes devait être élucidé d'une manière ou d'une autre. Isabelle s'en faisait la promesse.

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