•  Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34- 

    Chapitre XII

    Dans la matinée du surlendemain, Isabelle alla rendre visite à son père. Cette entrevue lui pesait fort. En ses six années, elle n’avait échangé avec lui que de rares lettres insignifiantes. Cette indifférence paternelle, ajouté au souvenir de la scène qui avait précédé la mort de son aïeule, blessaient encore très profondément son cœur pour qu’elle n’éprouva pas une pénible gêne à l’idée de le revoir. Par Dominique qu’elle avait chargé d'intercéder pour elle afin de connaître le moment ou il pourrait la recevoir, le comte lui avait fait dire qu’il l’attendrait vers onze heure dans la bibliothèque de château neuf qu'elle connaissait, d'ailleurs, très bien. Elle le trouva assis devant une table, occupé à écrire. Son changement physique la frappa. Cette apparence de jeunesse longtemps conservée avait disparue. Pourtant, il ne s’était guère écoulé que six ans entre son départ et son retour à Monteuroux. Cependant, son père semblait las et souffrant. Néanmoins, il conservait son habituelle élégance de tenue qu’on les aristocrates. Isabelle attendit silencieusement qu’il lui adressa la parole, mais intérieurement, elle se réjouissait de voir sa stupéfaction quand il lèverait les yeux sur elle en l’entendant dire :

    Bonjour, père. La réaction ne se fit pas attendre longtemps. Le comte, l’air perplexe, la considéra un moment avant de murmurer :

    Isabelle ? Tu es Isabelle ?

    Et bien, oui ! Ce n’est que votre fille !

    Se levant, il mit une main sur son épaule, la regarda encore, puis se pencha pour lui mettre un baiser sur le front.

    Et bien ! Ma fille ! Je suis obligé de reconnaître que nous avons eu raison de t’envoyer chez ton oncle ! Tu nous reviens complètement transformée, extérieurement, du moins ! J’espère que le caractère à suivi ?

    Cela dépend de quel point de vue l’on se place. Je ne suis plus une enfant ! Ainsi, j’ai toujours conservé l’habitude de la  franchise et la sincérité. J'ai toujours en horreur le mensonge et l’hypocrisie.

    Ce n’est pas un mal... pas un mal du tout… Il n'y a rien de répréhensible à cela, à condition que cela soit justifié !

    Pourtant il fut un temps ou vous n’aimiez pas que je sois directe.

    Il laissa retomber sa main en détournant légèrement les yeux du regard droit et fier de sa fille.

    Assieds-toi... Raconte-moi ce que tu as fait là-bas.

    Brièvement, Isabelle lui donna un aperçu de son existence à Verte-cour et lui apprit ses projets pour se faire une situation. Il l’approuva en déclarant :

    Tu ne pourras compter que sur tes avoirs mon enfant, car je n’aurai rien à te laisser lorsque je ne serais plus. Il faut que tu le saches ! La seule chose que je te léguerais, en admettant que je ne sois pas obligé de l’hypothéquer encore, ou de m’en défaire d’ici là… sera Monteuroux, et dans un bien mauvais état ! A ton tour, tu devras le vendre pour régler les dettes et les frais de notariat. S'il reste quelques avoirs, tu auras, peut-être, la chance de pouvoir voir venir un certain temps... Tu es ma seule héritière, si je puis encore affirmer cela... néanmoins, je ne te laisserais qu'une infime partie de la vente du château, ce qui n'est pas du tout sûr.

    Cette soudaine nouvelle fit tressaillir la jeune comtesse :

    — Vendre Monteuroux ? Oh ! Mon dieu ! Non !

     

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    Son père passa sur son front une main aux veines saillantes et gonflées qui tremblaient un peu.

    Je ne m’y résoudrais pas sans déchirement ; mais je ne puis l’entretenir qu’avec les revenus de ma femme. Or, ceux-ci, par la suite d’événements fâcheux, ont été sensiblement diminués. Il me faut donc envisager cette perspective pénible et bien à contre cœur pour l’année à venir. Je n’aurais, peut-être, pas le choix. Le château, même dans l'état où il se trouve, les terres attenantes, ainsi que l'étang-aux-ormes, ont de la valeur. Je vais pouvoir en tirer un bon prix, payer les reliquats et assainir mes dettes de façon à me retirer avec ma femme, sans avoir le soucis de ce poids qu'est devenu le domaine.

    Ainsi donc, serait-il possible que ce fût le dernier été passé dans ce cher vieux domaine, les dernières semaines où elle pourrait se promener dans ce parc redevenu presque entièrement sauvage ? Cette pensée lui fut si douloureuse que des larmes lui montèrent aux yeux. Elle se rappela subitement le feu éblouissant des pierres cachées derrière la plaque armoriée de la cheminée, le trésor constituées des royales émeraudes du collier de la princesse hindoue des rubis et saphirs constituant les reste de la somptueuse collection. La vente de tels joyaux permettrait d’assurer l’entretien de Monteuroux pendant des années, cependant, la promesse qu'elle avait faite à son aïeule, l'empêchait même d’y songer. Ces joyaux devraient dormir là où ils sont, sans qu’ils aient leur utilité par la faute de son père et de cette d’Argenson. Sans elle, l’aïeule n’aurait sans doute jamais eut l’idée, sur la fin de sa vie, de les dérober aux convoitises de cette femme qu’elle méprisait sans jamais l’avoir vue. Quant à son fils, il lui avait désobéi bravant son autorité en épousant cette affreuse femme sans tenir compte de ses menaces. 

    Accablée par cette révélation, Isabelle regardait son père avec un mélange d’irritation et de pitié. Assise en face de lui, elle remarquait mieux son teint blême, les boursouflures sous ses yeux et la fatigue de son regard. Elle fut soudain envahit par cette idée qu’elle avait eu six ans au paravent. Ne serait-ce pas les prémisses d’un empoisonnement à l’arsenic que sa marâtre distillerait très lentement dans ses boissons, ainsi que les plats qu’il devait consommer à chaque repas ? Elle osa cette question :

    Vous n’êtes pas bien, père. Vous venez de faire un traitement thermal m’a dit Ludivine. Ne devriez-vous pas être en meilleurs santé ?

    Oui, mais je n’en sentirai les effets que dans quelques jours. Ici, je viens me reposer pour reprendre un peu de vigueur... Il s’interrompit tout en tournant la tête vers l'entrée de la pièce et son regard s'illumina. 

    Dans la haute porte sculptée, s’ouvrait une portière qu’une souple silhouette venait de pousser. C’était la  d'Argenson qui apparaissait dans une soyeuse robe d’intérieur couleur bleu indigo. Elle s’avança, un sourire détendant ses lèvres trop fines, et ses yeux pleins d’une accueillante douceur qui sonnait faux.

    Chère Isabelle, nous te revoyons enfin !

    Elle tendit les deux mains à sa belle-fille qui se contenta d’y poser mollement une des siennes, le dégoût  de cette femme en était la cause. Sa marâtre fit mine de ne pas s'en apercevoir et continua de feindre une sympathie  loin d'être ressentie.

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    Pour la matinée du surlendemain, Isabelle alla rendre visite au comte, son père. Cette entrevue lui pesait fort. En ses six années, elle n’avait échangé avec lui que de rares lettres insignifiantes. Cette indifférence paternelle, ajouté au souvenir de la scène qui avait précédé la mort de son aïeule, blessaient encore trop profondément son cœur pour qu’elle n’éprouva pas une pénible gêne à l’idée de le revoir.

    Par Dominique qu’elle avait chargé de lui demander quand il pourrait la recevoir, il lui avait fait dire qu’il l’attendrait vers onze heure dans son bureau. Elle le trouva assis derrière celui-ci, occupé à écrire. Son changement physique la frappa. Cette apparence de jeunesse, longtemps conservée, avait disparue. Pourtant, il ne s’était guère écoulé que six ans entre son départ, et son retour à Monteuroux. Cependant, son père semblait las et souffrant, mais, il conservait, néanmoins, son habituelle élégance de tenue qu’on les aristocrates. Isabelle attendit silencieusement qu’il lui adressa la parole, mais intérieurement, elle se réjouissait de voir sa stupéfaction quand il lèverait les yeux sur elle, en l’entendant dire : Bonjour, père. La réaction ne se fit pas attendre longtemps. Le comte de Rubens, l’air perplexe, la considéra un moment, avant de murmurer :

    Isabelle ? Tu es Isabelle ?

    Et bien, oui, ce n’est que votre fille, père.

    Se levant, il mit une main sur son épaule, la regarda encore, puis se pencha pour lui mettre un baiser sur le front.

    Et bien ! Ma fille ! Je suis obligé de reconnaître que nous avons eu raison de t’envoyer chez ton oncle ! Tu nous reviens complètement transformée, extérieurement, du moins. J’espère que le caractère à suivi ?

    Cela dépend de quel point de vue l’on se place, père. Je ne suis plus une enfant : Ainsi, j’ai toujours conservé l’habitude de la sincérité, l’horreur du mensonge et de l’hypocrisie.

    Ce n’est pas un mal... pas un mal du tout...

    Il laissa retomber sa main, en détournant légèrement les yeux du regard droit et fier de sa fille.

    Assieds-toi... Raconte-moi ce que tu as fais là-bas...

     

    Brièvement, Isabelle lui donna un aperçu de son existence à Verte-cour, lui apprit ses projets pour se faire une situation. Il l’approuva, en déclarant :

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    Tu ne pourras compter que sur tes avoirs mon enfant, car je n’aurai rien à te donner, et après ma mort, il te faudra vendre Monteuroux, la seule chose que je te léguerais, en admettant que je ne sois pas obligé de l’hypothéquer ou de m’en défaire d’ici là.

    Vendre Monteuroux ?

    Ces mots faisaient sortir Isabelle de son impassibilité apparente. Elle répéta, la voix chargée d’angoisse :

    Vendre notre Monteuroux ? Oh ! Père !

    Il passa sur son front une main aux veines saillantes et gonflées qui tremblaient un peu.

    Je ne m’y résoudrais pas sans déchirement. Mais je ne puis l’entretenir qu’avec les revenus de ma femme.

    Or, ceux-ci, par la suite d’événements fâcheux, ont été sensiblement réduits. Il me faut donc envisager cette perspective pénible, et bien à contre cœur, pour l’année à venir. Je n’ai pas le choix.

    Ainsi donc, serait-il possible que ce fût le dernier été passé dans ce cher vieux domaine, les dernières semaines où elle pourrait se promener dans ce parc sauvage ? Cette pensée lui fut si douloureuse que des larmes lui montèrent aux yeux.

    A ce moment, elle revit le feu éblouissant des pierreries cachées derrière la plaque armoriée, les perles chatoyantes et les royales émeraudes du collier de la princesse hindoue. La vente de tels joyaux permettrait d’assurer l’entretient de Monteuroux pendant des années. Hélas ! Impossible d’y songer ! Il faudrait les laisser là, où- ils sont, sans qu’ils aient leur utilité, et cela, par la faute de cette Edith car, sans elle, l’aïeule n’aurait sans doute jamais eut l’idée de les dérober aux convoitises de son fils.

    Accablée par cette révélation, Isabelle regardait son père avec un mélange d’irritation et de pitié. Assise en face de lui, elle remarquait mieux son teint blême, les boursouflures sous ses yeux, et la fatigue de son regard.

    Vous n’êtes pas bien, père ? Vous venez de faire un traitement thermal m’a dit Ludivine ?

     Oui, mais je n’en sentirai les effets que dans quelques jours. Ici, je vais me reposer un peu. Il s’interrompit, car dans la haute porte sculptée, s’ouvrait une portière qu’une souple silhouette venait de pousser. C’était Edith de Rubens qui apparaissait dans une soyeuse robe d’intérieur couleur bleu nuit.

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    Elle s’avança, un sourire détendant ses lèvres, les yeux pleins d’accueillante douceur qui sonnait faux.

    Chère Isabelle, nous te revoyons enfin !

    Elle tendit les deux mains à sa belle-fille qui se contenta d’y poser mollement une des siennes

    Rudolph, comment la trouvez-vous ? Un peu changée, n’est-ce pas ? Il va nous falloir la marier, cette grande fille-là.

    Elle n’y songe nullement. Elle veut travailler et garder sa liberté. Se marier ne l’intéresse guère. Isabelle nous est revenu très indépendante, mon amie. Vous n'arriverez pas à la convaincre.

    Oui, Ludivine me l’a dit. Mais quand un aimable prétendant lui sera présenté, elle changera peut-être d’avis.

    La d'Argenson continuait de parler et de sourire, en attachant sur la jeune fille ces étranges yeux gris-vert dont le jeu habile de ses longs cils noir savait si bien augmenter la séduction tout en cachant sa fausseté. Comme elle était encore jeune, son teint était parfait, sans une ride qu’aucun fard ne cherchait à dissimuler !

    Certainement non, dit Isabelle d’un ton sec.

    Célibataire alors ? La dernière des de Rubens ?

    Des de Rubens de cette branche, oui, car par ailleurs, il y a William.

    William et puis Thierry. C'est un beau petit notre Thierry, qu’en dites-vous ?

    Il ressemble à sa mère.

    La voix d’Isabelle s’était faite involontairement mordante. Comme naguère, elle devenait semblable à un jeune coq de combat devant cette femme dont elle sentait une sournoise volonté de mal faire sous la douceur menteuse de son sourire et de sa voix.

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    Oui, et c’est pourquoi il est si charmant, dit Mr de Rubens acquit aux idées de sa femme. Il paraît que son père veut le conserver avec lui à Aigue-blanche. Ludivine nous l’a appris hier.

    Bien sûr, son idée est inconcevable ! fit la dArgenson. Il ne peut décemment pas prétendre obliger une jeune femme comme notre Ludivine, à rester aupré de lui toute l’année sans qu'elle ne dépérisse ! Elle n'est pas habituée à vivre de la sorte !

    Alors, pourquoi ce mariage qui ne rime à rien ? Ne put s’empêcher de lancer Isabelle.

    La comtesse accusa le coup et ne sut que répondre à cette question frondeuse. Sans en tenir compte, elle passa sur l’interrogation qu’avait posé la jeune comtesse en s’adressant directement à son mari.

    Il ne peut l’y obliger, mon ami. Tout d’abord parce que Ludivine ne le laissera pas faire. Il lui suffirait de vouloir garder Thierry qu’il veut avoir sous sa coupe pour l’élever à son idée ! Mais cela ne se passera pas ainsi, car nous ne lui laisserons certainement pas notre enfant chéri.

    Vous n'êtes que sa grand-mère ! Ne put s'empêcher d'objecter Isabelle. Vos droits sur l'enfant ne sont pas la priorité vis à vis de la loi ! Le comte William est son père ! Ses droits sont aussi importants que ceux de sa femme qui devra faire contre mauvaise fortune, bon cœur, et accepter un compromis !

    Légalement, il a le droit… acquiesça le comte. La loi est ainsi faite ! Ludivine ne veut pas vivre près de lui sous prétexte qu’elle n’aime pas rester à la campagne, invoquant simplement qu’elle s’y ennuie. Pourtant, elle a vécu toute son enfance avec nous ! Cela ne semblait pas la gêner !

    Et Isabelle de surenchérir :

    Ne pouvait-elle pas s'en rendre compte avant les noces ? Ce mariage, à proprement dit, est une mascarade au regard de la loi. L’enfant à besoin de ses deux parents pour se construire !

    comme moi j’aurais eu besoin des miens. Si l’on ne m'avais pas privé de ma mère, pensa Isabelle, à ce jour, j'aurais eu mes deux parents.

    Sans faire attention à la triste mine de sa fille, le comte ajouta :

    William peut faire valoir également la santé fragile de son fils et argumenter sur l’air de Paris qui n’est pas bon pour ses jeunes poumons fragiles, souligna encore une fois le père d'Isabelle.

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    La dArgenson secoua la tête, très déterminée à ne pas laisser gagner son beau-fils.

    Nous trouverons bien un moyen de tourner cette loi qui est seulement en faveur du père, alors que sa mère est plus apte à élever notre petit Thierry...Voyez, chère enfant, quels soucis apporte un mariage ! Au fond, vous avez peut-être bien raison de ne pas vouloir vous marier.

    Considérant qu’elle en avait déjà trop dit, Isabelle ne répondit pas. intérieurement et pour une fois, elle donnait raison à son père, mais ne voulait pas donner matière à sa belle-mère de trouver une réplique qui s’adresserait directement à elle. Après tout, Isabelle n’avait jamais eu son mot à dire sur les sujets abordés par sa belle-mère, à part ses rebuffades contre elle et les reproches que celle-ci aimait lui adresser par l'intermédiaire de son père ! Elle ne désirait pas davantage en avoir aujourd’hui sur leur façon de vivre qu’elle n’appréciait pas. Elle prit congé après avoir dû, à contre cœur, accepter de venir dîner le soir même au château.

    En prenant le chemin de la vieille tour, Isabelle trouva dans sa chambre une lettre de son cousin Renaud qui se trouvait en ce moment dans les Pyrénées. Elle était posée sur le petit bonheur du jour qu'elle avait récupéré dans un des greniers des deux château jumelé. Renaud l’informait de son intention de venir à Monteuroux pour le mois d’août prochains. Cette nouvelle effaça quelque peu l’impression désagréable due à son entrevue avec son père et la venue impromptu de sa belle-mère toujours aussi sournoise, l'obligeant à accepter une invitation pour le soir même dont elle se serait bien passée. Isabelle soupira en pensant qu’il lui faudrait encore plus d’une fois endurer la présence de la d'Argenson.

    Après l'entrevu avec son père ou elle avait apprit son projet de vendre Monteuroux dans le courant de l'année, Isabelle dû prendre sur elle pour informer Adélie de la nouvelle. Adélaïde fut consternée par ce projet. Cet endroit était plein de souvenirs qu'elles allaient, toutes deux, être obligées de laisser derrière elles. Ainsi, Monteuroux n’appartiendrait plus aux de Rubens ? C’était là, pour elle, comme pour Isabelle, le coup le plus rude qu’elles venaient de prendre en plein cœur, d’autant plus que la vente probable de Monteuroux était inattendu. Jamais Isabelle n’avait songé une seule seconde que son père pût ne pas conserver le vieux domaine, car elle savait que sa belle-mère, tout en y séjournant guère, tenait à ce témoin du passé qui la consacrait comtesse de par l'ancienneté de cette lointaine noblesse concernant la famille dans laquelle son mariage l’avait fait entrer. Il fallait donc une raison majeure pour qu’elle y renonçât, et c'était le manque de liquidité. Sa fortune personnelle était encore conséquente, mais son mari ne pouvait se passer des avoirs de sa femme, ce qui les réduisait à diminuer leur train de vie dans ce qui était le moins indispensable à leurs yeux, puisqu'ils n'y venaient guère que les quelques semaines, les mois d'été, et que les dépenses causées par l'entretient du château étaient bien trop conséquentes. D'après ce que Isabelle avait comprit, la d'Argenson tenait à son train de vie loin de Monteuroux pensant, à juste titre, que l'argent de la vente pourrait les remettre à flot. Son père était complètement à la merci de cette femme. Isabelle ne pouvait décidément pas accepter sa belle-mère comme étant la dernière comtesse de Rubens par mariage...

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    Juliette vint la voir l’après-midi de ce fameux jour ou elle venait de reprendre contact avec son père et sa femme. Elle la trouva tristement songeuse. Quand elle eut connue la raison de cette tristesse consécutive à la nouvelle de cette vente, elle lui avoua que depuis quelque temps, son frère craignait que Mr de Rubens ne fût obligé d’en arriver à cette extrémité. Les propos de Ludivine au sujet de la situation financière de son beau-père avaient été clair sur le sujet. Juliette soupira :

    Et ce n’est malheureusement pas William qui pourra racheter tout le domaine ! Il le ferait pourtant volontiers puisque que les terres de Monteuroux touchent pratiquement les nôtres et qu’elles sont fort bonnes pour la culture. Certaine parcelle pourrait être sélectionnées pour abattre des arbres, ce qui ferait de très bonnes terres agricoles. Avec une direction ferme et savamment conduite, elles seraient d’un excellent rapport cependant, les possibilités manquent et c’est hélas, ce qui le chagrine. Isabelle glissa un coup d’œil vers la plaque de cheminée. Voilà qu’elle se prenait à détester ces bijoux qui ne pouvaient même pas lui permettre de conserver Monteuroux. A quoi pourraient-ils bien servir si elle ne pouvait même pas les utiliser, du moins, tant que vivrait le couple diabolique que formait son père et la d'Argenson...

    Le jour fatidique où les invités du château devaient envahir Monteuroux approcha. Quelques hôtes arrivèrent dès le lendemain matin sur les lieux des festivités. En allant sortir sa voiture, Isabelle vit deux nouvelles berlines de luxe dans le vaste garage mit à la disposition des invités, ce qui la renseigna. Au retour de la ville où elle s’était rendue avec Adélaïde, elle croisa le cabriolet de Ludivine. Près de celle-ci se tenait une élégante jeune femme qui jeta au passage un regard curieux sur Isabelle et son accompagnatrice. Comme pour dévaloriser sa rivale, Ludivine prit un air désinvolte en renseignant sa passagère :

    Ce n’est que la fille de mon beau-père et sa préceptrice. Vous ferez bientôt sa connaissance.

    Lors du dîner de la veille, la d'Argenson lui avait dit :

    Tu viendras quand tu le voudras, Isabelle ! Je te présenterai à nos invités.

    Mais Isabelle ne se souciait guère de connaître les amis de cette femme et de son père, pas plus qu’elle ne désirait prendre part à leurs distractions. La société des habitants d’Aigue-blanche lui suffisait d’autan mieux que Ludivine passait à peu près toutes ses journées à Monteuroux. Marie-Catherine de Rubens, André et Juliette paraissaient beaucoup plus à leur aise depuis le changement de programme de la femme de William, et tous ne s’en portaient pas plus mal. Isabelle voyait son cousin beaucoup moins souvent, mais elle acceptait qu'il s'écarte d'elle. La raison invoquée était qu'il avait beaucoup de travail à cette époque de l’année. La jeune comtesse n'était pas dupe car sa mine assez sombre en disait long sur son état d'esprit. Il avait reprit son air lointain et songeur que sa cousine, depuis son retour, ne lui voyait plus. Elle avait également capté le regard lumineux d’André qui observait parfois longuement son grand frère, et la physionomie du jeune infirme quand celui-ci devenait pensif, se voilait de tristesse, ce qui ne la rassurait guère.

    Malgré ce que Isabelle connaissait de leurs finances par l’intermédiaire de Juliette, sa belle-mère et son père continuaient à mener grand train à Paris, ne voulant rien changer à leurs habitudes. Au château se préparait une grande réception qui devait avoir lieu avant que Mr et Mme la comtesse de Rubens partent pour un séjour en Italie.

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    Il était prévu que d’autres invités devaient arriver dans les jours prochains et la comtesse envoyait des invitations aux châtelains des alentours avec qui elle s’était lié au fur et à mesure des années. Pour rendre au château sa magnificence, elle ne se ménageait pas. Les décorations étaient à la mesure de son orgueil. Avec sa fille, ça donnait des ordres à droite et à gauche aux domestiques. Isabelle se tenait loin de toutes ces mondanités. Elle ne voulait pas être mêlée à toute cette effervescence. Elle n’avait plus revu la dArgenson ni sa fille trop occupées à mettre les dernières retouches aux décorations. La jeune comtesse se croyait délivrée de leur détestable présence jusqu’à leur départ. Or, la veille de la soirée, elle eut la surprise de recevoir la visite de son père. Il venait lui signifier qu’il comptait bien la voir assister aux festivités. Aux premiers mots de refus, il dit d’une voix qui ne souffrait aucune protestation de la part de sa fille :

    J’y tiens, Isabelle. Il ne convient pas que tu te mettes ainsi à l’écart. As-tu une toilette pour la circonstance ?

    Oui, j'en ai même plusieurs. Nous étions conviés à des réceptions où mon oncle, mon cousin, ma cousine et moi-même allions. Mon oncle fut très généreux avec moi. Contrairement à ce que tu pourrais penser, je ne suis pas une pauvresse ! Je mettrais celle qui m’a servi l’année dernière. Je n'ai besoin de rien d'autre, père. Vraiment, je ne vois pas l’utilité de cette invitation…

    Et bien moi, je la vois. Il me serait désagréable que l’on te croie traitée en Cendrillon, laissée de côté par une marâtre et un père indifférent.

    Ah ! C’est donc cela ! Dit Isabelle sur un ton doublé d’un sourire ironique. D’un certain point de vue, ce n’est pas faux ! Il me semble bien que vous avez su m’ignorer pendant de longues années et que je fus traitée en cendrillon par une marâtre et un père indifférent… cest vous qui le dites, pas moi ! A présent, je ne vous encombre plus parce que je suis, devenue, à votre satisfaction, présentable ?

    Le comte, gêné d’être pris en défaut par sa fille, se disculpa de ce manque d’attention envers elle par cette excuse trop facilement trouvée.

    Tu étais entre de bonnes mains auprès de ta marraine qui, je te le rappelle, à été la préceptrice de ta mère et c'était la seule personne à pouvoir adoucir ta peine. Tu étais si jeune ! De mon côté, j'ai été si dévasté par la disparition de Daphné, que je me sentais incapable de pouvoir te consoler. Je n'aurais pas trouvé les mots comme à su le faire Adélaïde. Et puis, je me suis remarié et le sort à voulu que j'ai une petite belle-fille qui petit à petit, a comblé le vide que tu avais laissé. J'ai préféré te laisser à la garde de ta marraine pour ne pas trop te dérouter. De plus, nous avions un train de vie à mener et des obligations qui ne permettaient pas de te prendre avec nous... et puis, tu devais être éduquée.

    Mon éducation nécessitait que l’on me cacha la triste fin de mère et que ce soit votre belle-fille qui me l’apprenne cruellement sans même avoir eut votre autorisation puisque vous aviez interdit, même à Adélaïde, que l’on m’explique pourquoi je n’avais plus mère à mes côtés ?! Ce fut votre chère belle-fille qui, lorsqu’elle m’apprit l’accident, se fit un malin plaisir de me faire souffrir en constatant ma surprise, en commentant malicieusement ses imprudences et en ne se gênant pas pour appuyer sur ce qui pouvait me faire mal ! Elle s’est bien gardé de vous révéler cet incident, n’est-ce pas ?!

    Je t’avoue que je ne savais rien jusqu’à ce que tu m’en parle ce soir. Cela fait donc longtemps que tu es au courant de l’accident de ta mère… Pourquoi ne pas m’en avoir parlé ?

     

    Vous n’étiez pas disponible pour votre fille, père. Vous semblez penser que

    j'ai été éduquée par ma marraine le mieux du monde ? Et bien, non ! Adélaïde à fait ce qu'elle à pu pour m’inculquer ses connaissances, et m'a élevé avec ses propres deniers pendant plus de dix ans. Mais elle n’est que préceptrice et son savoir est limité. Elle m’a donné beaucoup d'affection, d’attention et de tendresse. Tout ce que j’attendais et dont j’avais le plus besoin, ne pouvait venir que de vous, père. J'ai été sacrifiés au profit d'intruses pour lesquelles vous m'avez négligé. Ce monde qui aurait du être le miens, j'en ai été tout bonnement exclue ! Il me semble que votre belle-fille qui n’a que un an de différence d’âge avec moi, ne vous a pourtant pas gêné dans votre nouvelle vie avec votre nouvelle femme ? J’aurais pu être élevée avec Ludivine et auprès de vous. Peut-être que nous nous serions accordées au lieu de ne pas nous apprécier ! Aujourd'hui... et bien aujourd'hui... que puis-je dire... le mal est fait.

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    Il était prévu que d’autres invités devaient arriver dans les jours prochains et la comtesse envoyait des invitations aux châtelains des alentours avec qui elle s’était lié au fur et à mesure des années. Pour mettre le château en valeur, elle ne se ménageait pas. Les décorations étaient à la mesure de son orgueil. Avec sa fille, ça donnait des ordres à droite et à gauche aux domestiques. Isabelle se tenait loin de toutes ces mondanités. Elle ne voulait pas être mêlée à toute cette effervescence. Elle n’avait plus revu la dArgenson ni sa fille trop occupées à mettre les dernières retouches aux décorations. Elle se croyait délivrée de leur détestable présence jusqu’à leur départ. Or, la veille de la soirée, elle eut la surprise de recevoir la visite de son père. Il venait lui signifier qu’il comptait bien la voir y assister. Aux premiers mots de refus, il dit d’une voix qui ne souffrait aucune protestation de la part de sa fille :

    J’y tiens, Isabelle. Il ne convient pas que tu te mettes ainsi à l’écart. As-tu une toilette pour la circonstance ?

    Oui, j'en ai plusieurs. Nous étions conviés à des réceptions où mon oncle, mon cousin, ma cousine et moi-même allions. Je mettrais celle qui m’a servi l’année dernière. Je n'ai besoin de rien d'autre. Père, vraiment, je ne vois pas l’utilité de cette invitation…

    Et bien moi, je la vois. Il me serait désagréable que l’on te croie traitée en Cendrillon, laissée de côté par une marâtre et un père indifférent.

    Ah ! C’est donc cela ! Dit Isabelle sur un ton doublé d’un sourire ironique. D’un certain point de vue, ce n’est pas faux ! Il me semble bien que vous avez su m’ignorer pendant de longues années et que je fus traitée en cendrillon par une marâtre et un père indifférent… cest vous qui le dites, pas moi ! A présent, je ne vous encombre plus parce que je suis, devenue, à votre satisfaction, présentable ?

    Le comte, gêné d’être pris en défaut par sa fille, se disculpa de ce manque d’attention envers elle par cette excuse trop facilement trouvée.

    Tu étais entre de bonnes mains auprès de ta marraine qui, je te le rappelle, à été la préceptrice de ta mère et c'était la seule personne à pouvoir adoucir ta peine. Tu étais si jeune ! De mon côté, j'ai été si dévasté par la disparition de Daphné, que je me sentais incapable de pouvoir te consoler. Je n'aurais pas trouvé les mots comme à su le faire Adélaïde. Et puis, je me suis remarié et le sort à voulu que j'ai une petite belle-fille qui petit à petit, a comblé le vide que tu avais laissé. J'ai préféré te laisser à la garde de ta marraine pour ne pas trop te dérouter. De plus, nous avions un train de vie à mener et des obligations qui ne permettaient pas de te prendre avec nous... et puis, tu devais être éduquée.

    Vous trouvez que je fut éduquée par ma marraine le mieux du monde comme vous semblez le penser ? Et bien, non ! Adélaïde à fait ce qu'elle à pu et m'a élevé avec ses propres deniers pendant plus de dix ans, mais elle n’est que préceptrice et son savoir est limité. Elle m’a donné beaucoup d'affection, d’attention et de tendresse... tout ce que j’attendais et dont j’avais le plus besoin, ne pouvait venir que de vous, père... j'ai été sacrifiés au profit d'intruses pour lesquelles vous m'avez négligé. Ce monde qui aurait du être le miens, j'en ai été tout bonnement exclue ! Il me semble que votre belle-fille qui n’a que deux ans de différence d’âge avec moi, ne vous a pourtant pas gêné dans votre nouvelle vie... avec votre nouvelle femme ? J’aurais pu être élevée avec Ludivine et auprès de vous. Peut-être que nous nous serions accordées au lieu de ne pas s’apprécier ! Aujourd'hui... et bien aujourd'hui... que puis-je dire... le mal est fait.

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    Pour ne pas perdre le peu d'autorité qu'il croyait avoir encore sur sa fille, son père rétorqua :

    En dépit de tout ce que tu me reproches, tu est de ma ligné, tu es la dernière des de Rubens pas seulement de nom, mais de mon sang. C’est étonnant comme tu me rappelles ma tante Magalie, la jeune sœur de mon père qui est décédée à trente ans.

    Il n'y a pas besoin de remonter si loin dans notre arbre généalogique pour trouver une ressemblance avec une personne bien plus près de vous, ou de moi-même, que cette tante que je n'ai pas connu et à laquelle vous dites que je ressemble ! Plus prés de nous, il y a votre sœur, donc, ma tante… je ressemble à ma tante Victoria... grand-mère et vous-même l'avez négligés lorsqu'elle s'est retirée du monde. Vous avez adopté la même façon d'agir avec tous les habitants de château-vieux, d’ailleurs... peu m'importe votre tante que je n'ai pas connu puisque je n’était pas née. Par contre, je connais bien ma tante Victoria pour avoir eu la chance de la rencontrer il n'y a pas si longtemps... je la connais depuis peu, c'est vrais, mais j'ai eu le bonheur de me rendre compte, par moi-même, de la finesse des traits de son visage. Nous avons parlé un certain soir près de l'étang, dans le vieux pavillon. Elle se félicite que je sois tout son portrait, elle qui n'a connu qu'indifférence et mépris de la part de votre mère ainsi que de vous même...

    Le comte, surprit, ne voulu pas relever la réflexion de sa fille sachant qu’elle ne se gênerait pas pour remettre les choses à leur place chaque fois qu’elle serait en mesure de le faire. Il se leva en jetant un coup d’œil autour de lui, et changea une fois encore de sujet :

    Tu n’es pas si mal installée ! Il est vrai que ce n’est pas très gai ! Cette chambre dans cette vieille tour malgré que tu aies parfaitement su l’agrémenter, n'est pas ce qu'il y a de mieux pour y vivre !

    C'est à présent que vous vous en rendez compte ? Soyez honnête avec vous même, père ! Avec la froidure des murs de cette tour datant de plus de trois cents ans, l'humidité qui s'en dégage malgré la cheminée qui brûle en continu, il est sûr que vous auriez pu nous faire vivre, Adélie et moi, dans de meilleurs conditions !

    Pourquoi est-tu tant dans la rancune, ma fille ? Tout ceci et le passé.

    Pas pour moi. Le manque de tendresse d'un père absent, complètement dévoué à sa nouvelle femme et à cette jeune enfant à chérir qui n'est pas la sienne, ne s'oublie pas si facilement ! Pensez-vous, vous être bien comporté envers moi qui suis, comme vous l'affirmez ce soir, votre véritable fille et votre seule descendance ? Vous ne pouvez comprendre que cette vieille tour est la gardienne de tous mes chagrins de petite fille, de tous mes souvenirs d'adolescente... Je m'y plaît parce qu'elle m'a vu grandir sans un père pour me soutenir, me comprendre... et qui m'a volontairement oubliée, sacrifiée sans aucun remord depuis mes six ans et ce, jusqu'à mes vingt et un ans au profit d'une nouvelle famille que vous vous êtes créés. Je suis bien ici et cela me suffit. De plus, je n'ai de compte à rendre à personne.

    Son père ignorant encore une fois la diatribe de sa fille, se borna à détourner, pour la énième fois le débat :

    Pourquoi est-ce que tu ne t’est pas installée à château-neuf ? Tu aurais pu si tu l'avais désiré... Edith ne serait pas contre de t'avoir aupré de nous. Veux-tu que je lui en parle ?

     

    Merci, mais ce n’est nullement nécessaire ! Je viens de vous en donner la raison. Cependant, il me semble que depuis que je suis revenue d'Angleterre, quelque chose m’échappe ? Vous n’êtes plus le maître de Monteuroux ?

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    Que vous auraient coûté quelques visites régulières à une petite fille Orpheline de sa maman, seule et inconsolable, à qui vous manquiez ? En quoi vous aurai-je gêné ? voulez-vous me le dire ?  Cela vous aurait il empêché de vivre votre vie avec la fille de votre nouvelle femme ? Mais si, bien sûr, vous ne désiriez pas faire plus, c'est là, tout autre chose !...

    Le comte ne répondit pas. Isabelle regardait son père assis en face d’elle près de la fenêtre du triste appartement si bien arrangé par ses soins depuis peu, mais si longtemps abandonné lorsqu’elle n’était qu’une enfant rejetée qui n’éveillait, à ses yeux, aucun intérêt pour se donner la peine de gravir les quelques marches menant jusqu’à la chambre de cette vieille tour qui la voyait grandir sans l’affection de son père. Le comte avait cet air autoritaire qui, auparavant, l’aurait intimidé, mais que démentait, à présent, la faiblesse de sa bouche... Sa voix à peine audible, fit entendre un faible :

    Oui... c'est vrai... tu as raison, Isabelle.

    La jeune comtesse se rendit compte que son père n'était plus qu'un pantin entre les mains de cette harpie prétentieuse, et cela la désolait. Pour ne pas rester sur une conversation qui lui montrait une très mauvaise image de lui-même, le comte reprit :

    Néanmoins, j’ai une fille de ma propre lignée et c'est toi. Je désire que tu assistes à cette soirée Isabelle. Là est ta place à présent. Tu es majeure et ton rang veut que tu sois auprès de moi.

    Disons que je ne suis plus si encombrante à vos yeux, et que je suis, en quelque sorte, présentable aux regard de votre femme… Si ce n'était que pour sa satisfaction personnelle, je n'accepterais pas cette invitation ; mais si cela doit vous agréer, je veux bien faire l'effort. Je serai à cette réception si tel est votre souhait. Cependant, je désire avoir la possibilité de me retirer lorsque bon me semblera… Il n'y a rien à dire de plus ! Je ne suis guère friande de ces grandes réceptions...

    Le comte ne voulut pas analyser la nuance qu’Isabelle venait de mettre dans cette réponse. Il se racla la gorge et continua :

    C’est très bien. Maintenant j'ai autre chose à te dire. J’ai reçu ce matin un mot de Maître Beauverger qui est notre notaire. Je lui avais écris au sujet des comptes de tutelle. Il nous attend demain à dix heures. Le plus simple sera que tu m’emmènes dans ta voiture. 

    Certainement, père... puisque vous êtes là, je vous demande l’autorisation de loger mon cousin Renaud dans la chambre de grand-mère.

    Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais il trouvera l’installation bien… antique !

    Peu importe l’antiquité de la vieille tour, puisqu’elle est encore bonne pour Adélaïde et moi, comme elle l’a été pendant ma petite enfance, et par la suite, mon adolescence et jusqu'à ce que vous m'envoyiez en Angleterre. Elle sera toute aussi bonne pour lui. Je lui ai fait une description si enthousiaste de notre château-vieux, qu’il sera enchanté d’y loger pour un mois !

    Encore une boutade que, mine de rien, devait encaisser le comte, ce qui risquait d’envenimer davantage les rapports père-fille qui n’étaient déjà pas au beau fixe. Le comte ne jugea pas opportun de répondre. Il était conscient que sa fille lui en voulait terriblement de l’avoir négligé toutes ces années, allant même jusqu'à lui faire regretter de s’être si peu occupé de sa jeune existence. Il essaya pourtant de détendre l’atmosphère en détournant le sujet de conversation sur le fils du frère de sa femme Daphné qu'il ne connaissait pas :

    Ton cousin ne sera peut-être pas du même avis que toi, ma fille. Rudolph de Rubens souriait l’air un peu gêné en regardant Isabelle avec une certaine complaisance mêlée d’un soupçon d’émotion.

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    Que vous auraient coûté quelques visites régulières à une petite fille à qui vous manquiez ? En quoi vous aurai-je gêné ? voulez-vous me le dire ? Mais si, bien sûr, vous ne désiriez pas faire plus, c'est là, tout autre chose ! Vous père ! Qu'est ce que cela aurait changé dans votre vie de venir rendre visite une petite fille seule et inconsolable... une petite fille Orpheline de sa maman… et de son propre père depuis son remariage... quelques visites régulières à votre enfant... à qui vous manquiez beaucoup... cela vous aurait il empêché de vivre votre vie avec la fille de votre nouvelle femme ?

    Le comte ne répondit pas. Isabelle regardait son père assis en face d’elle près de la fenêtre du triste appartement si bien arrangé par ses soins depuis peu, mais si longtemps abandonné lorsqu’elle n’était qu’une enfant rejetée qui n’éveillait, à ses yeux, aucun intérêt pour se donner la peine de gravir les quelques marches menant jusqu’à la chambre de cette vieille tour qui la voyait grandir sans l’affection de son père. Le comte avait cet air autoritaire qui, auparavant, l’aurait intimidé, mais que démentait, à présent, la faiblesse de sa bouche... Sa voix à peine audible, fit entendre un faible :

    Oui... c'est vrai... tu as raison, isabelle.

    La jeune comtesse se rendit compte que son père n'était plus qu'un pantin entre les mains de cette harpie prétentieuse, et cela la désolait. Pour ne pas rester sur une conversation qui lui montrait une très mauvaise image de lui-même, le comte r

    Néanmoins, j’ai une fille de ma propre lignée et c'est toi. Je désire que tu assistes à cette soirée Isabelle. Là est ta place à présent. Tu es majeure et ton rang veut que tu sois auprès de moi.

    Disons que je ne suis plus si encombrante à vos yeux, et que je suis, en quelque sorte, présentable aux regard de votre femme… Si ce n'était que pour sa satisfaction personnelle, je n'accepterais pas cette invitation ; mais si cela doit vous Agréer, je veux bien faire l'effort. Je serai à cette réception si tel est votre souhait. Cependant, je désire avoir la possibilité de me retirer lorsque bon me semblera… Il n'y a rien à dire de plus ! Je ne suis guère friande de ces grandes réceptions... 

    Le comte ne voulut pas analyser la nuance qu’Isabelle venait de mettre dans cette réponse. Il se racla la gorge et continua:

    C’est très bien. Maintenant j'ai autre chose à te dire. J’ai reçu ce matin un mot de Maître Beauverger qui est notre notaire. Je lui avais écris au sujet des comptes de tutelle. Il nous attend demain à dix heures. Le plus simple sera que tu m’emmènes dans ta voiture.

    Certainement père et puisque vous êtes là, je sollicite l’autorisation de loger mon cousin Renaud dans la chambre de grand-mère.

    Je n’y vois pas d’inconvénient. Mais il trouvera l’installation bien… antique !

    Peu importe l’antiquité de la vieille tour, puisqu’elle est encore bonne pour Adélaïde et moi, comme elle l’a été pendant ma petite enfance, et par la suite, mon adolescence et jusqu'à ce que vous m'envoyiez en Angleterre. Elle sera toute aussi bonne pour lui. Je lui ai fait une description si enthousiaste de notre château-vieux, qu’il sera enchanté d’y loger pour un mois !

    Encore une boutade que, mine de rien, devait encaisser le comte, ce qui risquait d’envenimer davantage les rapports père-fille qui n’étaient déjà pas au beau fixe. Le comte ne jugea pas opportun de répondre. Il était conscient que sa fille lui en voulait terriblement de l’avoir négligé toutes ces années, allant même jusqu'à lui faire regretter de s’être si peu occupé de sa jeune existence. Il essaya pourtant de détendre l’atmosphère en détournant le sujet de conversation sur le fils du frère de sa femme Daphné qu'il ne connaissait pas :

    Ton cousin ne sera peut-être pas du même avis que toi, ma fille. Rudolph de Rubens souriait l’air un peu gêné en regardant Isabelle avec une certaine complaisance mêlée d’un soupçon d’émotion.

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    Père, je suis inquiète depuis que je suis revenue d’Angleterre. Serait-ce que depuis mon retour, un détail concernant Monteuroux m'a été délibérément caché ? Est-ce qu’un changement s'est produit durant mes six années d'absence ? Serait-ce votre femme qui aujourd'hui, prend les décisions à votre place ?

    Silence complet sur le sujet. Surprise que son père ne réplique pas à sa question, Isabelle s’interrompit et suivit le regard de son père qui n’écoutait plus rien. Ses yeux venait de tomber sur le portrait de sa première femme. Isabelle vit sa bouche trembler. Il se détourna aussitôt du tableau et laissa un instant son attention se fixer sur les transformations que la chambre de sa fille avait subit. Puis il reprit :

    Je suppose que ta marraine à eu droit au mêmes arrangements ? Tu aurais pu te loger, accompagnée d'Adélaïde, à château-neuf lorsque nous n'y étions pas ! Rien ne t'en empêchait... et tu le pourras encore, tout au moins, lorsque nos hôtes n’y seront plus, si tel est ton désir. Le domaine n’est pas encore vendu et tu peux en être la gardienne lors de nos absences ?

    Je te répète que je me trouve très bien ici. Je ne suis aucunement dérangée par des présences indésirées. D’ailleurs, pour y être restée à demeure des années pendant lesquelles vous viviez pleinement votre nouvelle vie, je ne vois pas la raison pour laquelle je devrais vivre à château-neuf. Je puis donc rester encore quelques mois dans la vieille tour à laquelle je suis habituée, puisque tôt ou tard, Monteuroux sera mis à la vente.

    A ta guise ma fille. Je vois que ta rancœur est tenace, que tu as la répartie facile en plus de ton esprit de contradiction. Surveilles-toi sur ce point, je te le conseille.

    Isabelle, suite à cette réflexion, ne se démonta pas et lança à son père, une révolte non déguisée mêlée d’ironie dans la voix :

    C'est un petit coup de patte griffue de votre femme par procuration ? Je me trouve tout à fait accomplie dans ce domaine. Je n’ai nul besoin qu’elle me donne son point de vue par votre intermédiaire. Je ne compte pas changer ma façon de faire, ne vous en déplaise !

    Depuis son retour, Isabelle n’était pas en reste pour envoyer quelques bons piques en réponse à son père. Mr de Rubens se leva, fit quelques pas dans la pièce, puis il prit congé de sa fille en pensant qu'elle avait une répartie qui le mettait très mal à l'aise, ce qui ne facilitait pas le contact avec elle.

    Avant de franchir la porte, il s’arrêta un court instant et s’enquit en levant la main vers le plafond :

    Ta tante Victoria est assez sérieusement souffrante, paraît-il ?

    Oui, Antoinette m’a dit que ma tante avait ce qui s’apparentait à une congestion pulmonaire. Le docteur ordonne beaucoup de précaution et de repos, mais il est très dur de lui faire observer ces conseils, particulièrement pour les sorties du soir, au bord de l'étang. Je ne sais ce qui l'attire en cet endroit ?

    Pauvre Victoria ! Fît son père. Quelle existence ! Son cerveau est atteint, je le crains. Elle a toujours été d’un caractère assez difficile, assez fantasque. Nous l’avons toujours attribué, en partie, à son infirmité qui a été, pour elle, la cause d’une grande souffrance morale. Je soupçonne, chez elle, une très forte déception sentimentale. Un de mes amis, Pierre-Auguste de Lavallière venait fréquemment chez nous. C’était un garçon charmant à tous points de vue. Victoria, d’une intelligence très brillante, d’un esprit vif et original, aimait beaucoup converser avec cet ami que je ne voie plus depuis qu'il s'est établit à Paris. Intellectuellement, elle avait avec lui de longues conversations. Il l’admirait beaucoup son intelligence et il se plaisait à rester auprès d’elle rien que pour échanger sur des tas de sujets en plus d'admirer la beauté si particulière de son visage dont le charme était, d'après-lui, indéniable. Il est incontestablement vrais que tu lui ressembles.

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    Le comte s’interrompit, les yeux fixés sur Isabelle qui écoutait son père avec une vive attention. Il hésita un instant, puis continua. Cette beauté le subjuguait et ne le laissait pas non plus indifférent. Tu ressembles vraiment beaucoup à ma sœur, ma fille. Je puis te le dire à présent. Tu es vraiment une de Rubens et tu en as le charme incontestable...

    Isabelle ne répondit rien à cette remarque qui la surprit venant de son père. Reprenant son monologue, il fît part à sa fille que son ami de l'époque lui avait confié dans une lettre alors qu'il séjournait dans le midi de la France. Il y était stipulé que l'attirance qu'il ressentait pour sa sœur, était plus que de l'amitié. Il avait ajouté :

    Quel dommage que son pauvre corps soit si terriblement déformé ! Sans cela, mon cher ami, je demanderais aussitôt sa main à Mme votre mère.

    Peu de temps après, Victoria dont l’humeur devenait très sombre, se mit à passer presque toutes ses journées dans cette tour carré où elle finit par y demeurer complètement. A cette époque, mon ami Pierre-Auguste de Lavallière venait de se fiancer à une jeune parisienne, et nous pensâmes que la retraite de ma sœur avait quelque rapport avec cet événement.

    Cela est fort possible. Pauvre tante ! Dit Isabelle avec compassion. Mais pourquoi l'avoir laissé si seule ? Grand-mère et vous, avez bien des choses à vous reprocher en ce qui la concerne...

    J'en suis conscient, mais elle n'acceptait aucune visite. Mère est intervenue plusieurs fois afin de la raisonner, mais il n'y avait rien à faire. Victoria ne voulait rien entendre et restait sur ses positions. Je n'ai pas voulu non plus troubler sa retraite. Ma sœur a un très fort caractère... un peu comme toi, ma fille.

    Je vois que nous nous ressemblons sur plusieurs points ! J'en suis très flattée, et très heureuse.

    Lorsque son père qui n’avait jamais autant parlé avec elle fut partit, elle resta un long moment immobile, les yeux tournés vers le portrait de sa mère qui souriait. Avait-il du remord de l’avoir laissé aller seule jusqu’à l’étang-aux-ormes ? Qu’avait t-il éprouvé en regardant fixement son portrait ? Isabelle avait bien remarqué l’émotion qui avait étreint son père. Le trouble de ses yeux et de sa bouche ne lui avait pas échappé une seule seconde. Après tant d’années, éprouvait-il encore du remord d’avoir repris femme après un deuil aussi court ? Isabelle se posait la question sans réussir à trouver une réponse qui pourrait la satisfaire. Le regret d’avoir trahi autrefois la confiance de son épouse, brisé son cœur en se laissant prendre aux filets de cette Edith d’Argenson, était-ce vraiment du remord, des regrets de n’avoir pas su aimer sa femme comme elle le méritait ? Avait-il encore, après toutes ces années, des sentiments pour elle ? Car, à la réflexion, certaines réticences d’Adélaïde à lui confier la souffrance de son élève et amie, lui faisait penser à tout ce qu'on lui avait caché. Un mot laissé échapper par Marie-Catherine de Rubens, avait peu à peu amené Isabelle à soupçonner la vicomtesse d'Argenson d'être active dans la désunion du couple que formait ses parent.

    Isabelle eut la confirmation de la soirée quelques jours plus tard. Le soir de la réception où elle devait paraître, l’ennuyait au plus haut point. Adélie vint jeter un coup d’œil à sa toilette et avec un hochement de tête, elle lui signifia qu’elle était tout à fait satisfaite de son apparence. De la voir si élégamment vêtue et toute à son avantage dans cette jolie robe de crêpe d'un blanc légèrement crémeux, l'émut plus qu'elle ne l'aurait voulu.

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    Elle déclara les larmes aux yeux :

    Vous êtes très belle, Isabelle ! Très très bien votre toilette ! Je ne me souviens plus vous l’avoir vu ?

    Rappelez-vous Adélie ? Vous l'avez vu une fois. Je l'ai porté à un bal donné pour des fiançailles. J'étais accompagnée de mon oncle, ma cousine et mon cousin Renaud.

    Oh, mon enfant. Pardon ! Que ma mémoire devient défaillante ! Votre pauvre mère qui avait tant de goût pour s’habiller, n’aurait, je crois, rien à redire sur cette tenue. Vous avez, vous même, un goût exquis ! Qu'elle jolie robe ! Et cette dentelle ! Cela vous va à merveille !

    Isabelle passa une main nerveuse dans sa chevelure laissée libre. La magnifique robe qu'elle portait était agrémenté d'une ouverture dans le dos, fermée par une perle de nacre imposante. Le devant de sa robe autorisait un décolleté discret qui laissait deviner une peau laiteuse sous la transparence de la dentelle de Calais qui laissait entrevoir ses ravissantes épaules. D’un mouvement vif, Isabelle se tourna vers sa vieille amie qui la considérait avec complaisance.

    Adélie, Dites-moi… je veux savoir ! Maman était une femme très belle charmante et très aimable de caractère, n’est-ce pas ?

    Tout à fait charmante ! Elle était d’une beauté blonde, discrète, mais sans fadeur, Elle était dotée d'un esprit délicat et d'une élégance très raffinée. Oh, oui ! délicieusement belle ma Daphné !

    Mon père et elle s’aimaient beaucoup ?

    Certes oui !

    Jusqu’à ce que cette briseuse de ménage paraisse dans l’entourage de leurs connaissances...

    Je ne sais... je...

    Si, vous savez, Adélie !

    Isabelle posa sa main sur son épaule. Elle répéta d’une voix qui frémissait :

    Vous savez très bien, Adélie, que maman à été malheureuse à cause de cette femme pour avoir vécue assez longtemps aupré d’elle !

    Et bien… oui. Dit sa marraine en baissant les yeux.

    Adélaïde se trouvait très gênée devant les questions insidieuses de sa filleule.

    A-t-elle beaucoup souffert ?

    Je le crois… oui.

    Pourquoi ne m’en avoir rien dit ? Pourquoi m’avoir caché sa souffrance ?

    Mais ma Daphné n’était pas femme à se plaindre. Elle ne se confiait pas facilement, même à moi dont elle connaissait pourtant tout le dévouement que je lui portais. Elle était d’une nature très secrète et cachait sa peine avec le courage d’une âme fière. Cette souffrance était très dur à porter pour elle ! Malgré moi, je respectait ses silences pourtant, je comprenais ce qu'ils laissaient paraître puisque je savais... J'étais peinée de voir ma Daphné souffrir autant ; mais qu'aurais-je pu faire ? J'ai bien essayé de fendre l'armure dans laquelle ma Daphné s'était enfermée, mais comment lutter contre une femme habile et ambitieuse comme la dArgenson sachant séduire les hommes qu'elle convoitait ! Je m'était rendu compte de son jeu diabolique et ne pouvais rien y changer.

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    Qui étais-je pour intervenir dans la vie intime de ma chère Daphné et son époux ? Celle qui m'avait été confié jeune fille, m'interdisait du regard d'intervenir et de chercher à ce qu'elle se libère du poids de cette souffrance qu’elle désirait endurer seule. Cette Edith dArgenson est une diablesse insatiable, ne reculant devant rien pour atteindre son but ! Votre mère était tout le contraire. Elle aimait tant son mari ! Elle avait une âme pure, dénuée de méchanceté et si sensible…

    Isabelle laissa retomber sa main, prit sur un siège son petit sac de satin perlé, l’écharpe de dentelle du même ton que sa robe qu’elle jeta sur ses épaules, puis elle se pencha pour mettre un baiser sur le front de sa marraine toute désemparée.

    Bonsoir, Adélie. Je ne vous en veux pas, mais je m'aperçois que j'ai encore beaucoup de choses à découvrir que l'on m'a sciemment caché, à commencer par mon père… Je n’espère pas rentrer trop tard. En tout cas, dormez tranquillement et ne m’attendez pas.

    Adélie jeta un coup d’œil inquiet sur le visage un peu tendu de sa jeune protégée dont les yeux reflétaient une douloureuse colère. Elle ajouta pour la tranquilliser :

    Ne vous tourmentez pas trop pour ce que je vous ai confié, ma chérie. Ce fut une très grande épreuve pour votre pauvre maman ; mais Dieu lui a donné la récompense éternelle et elle désapprouverait que vous gardiez du ressentiment à l’égard de ceux qui l’ont faite souffrir.

    Isabelle répondit d’une toute petite voix :

    Après avoir enduré tant de souffrance, aller mourir si jeune, noyée dans les eaux froides d'un étang, vous appelez cela une récompense ? Et qui oserait me dire que c’est bien un accident dont ma mère à été victime ? Personne pour l'instant ! Ne serait-ce pas plutôt une malveillance de la part de cette femme pour prendre la place de ma mère auprès de mon père ? Qui me dit que cette mort est bien accidentelle ? Vous savez ce que j’en pense, et ce, depuis bien avant mes seize ans ! Je n'en démord toujours pas ! Sur cette phrase, Isabelle quitta la pièce en laissant son amie sans voix. La jeune comtesse se sentait encore trop imparfaite pour ne pas en vouloir un peu plus à cette Edith de malheur qui avait fait souffrir sa mère en brisant délibérément son couple.

    Ses parents s’aimaient avant que la d'Argenson n’apparaisse dans leur vie. Isabelle venait de comprendre bien des choses. Désormais, le doute ne la quitterait plus. Un coin du voile entourant le décès prématurée de sa tendre mère qui lui manquait tant, venait de se lever. A présent, elle comprenait les avertissements de sa tante Victoria, ainsi que les recommandations de sa mère elle-même, dans une de ses apparitions sur le bord de l’étang-aux-ormes. Elle descendit l’escalier de la tour et s’arrêta dans l’armurerie. Catherine avait convenu qu’elle serait, avec William, auprès d’elle, afin qu’elle ne soit pas seule pour être présentée à cette société où elle ne connaissait personne, et dont elle n'avait que faire… Le frère et la sœur apparurent presque aussitôt. Dans la pénombre de cette pièce mal éclairée, ils échangèrent quelques mots, puis, par la galerie, tous trois gagnèrent le vestibule du rez-de-chaussée, transformé pour l’occasion, en vestiaire où les invités abandonnaient leurs écharpes ou leur capes.

    Dans la vive lumière des lustres à pampilles, Juliette, vêtue de rose, apparut fraîche, vivante et rieuse comme à son habitude, quoi qu'elle attendît peu d’agrément de cette soirée à laquelle il lui avait paru difficile de ne pas faire, au moins, une apparition. Juliette se tourna vers Isabelle et considéra la souple silhouette vêtue de cette merveilleuse robe d'un crêpe satiné orné de dentelle. Elle remarqua aussi son visage un peu pâle qui trahissait un mal être.

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    Ses yeux mordorés qu’une ombre semblait cerner, laissaient lire une angoisse difficile à dissimuler. William, malgré sa réserve, avait remarqué cette douloureuse expression qui assombrissait le beau regard d’Isabelle. Pour détendre l’atmosphère, Juliette la complimenta sur sa tenue :

    Vous êtes exquise ma chère et douce amie ! Cette toilette d’une simplicité raffinée, vous va à ravir ! N’est-ce pas William ?

    En effet.

    Cette voix brève, indifférente, ce regard qui l’effleurait à peine et se détournait aussitôt.

    Le cœur d’Isabelle s’arrêta un instant sous l’afflux d’une soudaine gêne. Elle avait une envie folle de s’éclipser, mais d'autres invités entraient. Le comte de Rubens-Gortzinski et les deux jeunes filles se trouvèrent entraînés vers les salons. En présence de sa belle-mère, Isabelle dut se raidir pour ne pas reculer. Souriante, affable, ne paraissant pas voir la subite hésitation de sa belle-fille à la saluer, Mme de Rubens la présenta à ses hôtes.

    En dépit de sa froideur dont elle voulait se faire un masque, Isabelle fut aussitôt très remarquée, tout particulièrement par un homme d’une trentaine d’années. Il avait une belle prestance et semblait très fier de sa personne. Il se montra aussitôt très empressé auprès d’elle. Frantz Müller était un peintre Autrichien dont la notoriété dans toute l’Europe était très grande. Après avoir subit plutôt que dansé une première danse avec lui, elle écouta sans grand intérêt, ses dissertations sur les maîtres de l’école Flamande dont il était un fervent admirateur. Sans en avoir l'air, ils avait entraîné Isabelle qui, par politesse, l'avait suivit, et ils avaient prit place sur un des sofas se trouvant à disposition pour les invités désirant se reposer dans la bibliothèque, à l’écart des danseurs. Isabelle en avait assez de cet homme visiblement très imbu de lui-même, et elle ne savait pas comment se dégager de son emprise. En levant les yeux, elle aperçut tout à coup William, debout dans l’embrasure de la porte, les bras croisés, droit dans ses bottes et mince dans le smoking qu’il portait avec une rare élégance. Il regardait... Quoi, au juste ? Il semblait fixer le fond de la bibliothèque où Isabelle était assise avec le peintre.

    Ludivine cherchant son époux du regard, le trouva à l'entrée de la bibliothèque. Câline, elle s'accrocha à son bras et lui demanda :

    Vous ne dansez pas, mon ami ?

    Je ne danse pas. Répondit sèchement William.

    Même pas une danse avec moi ?

    Je vous ai dis que je ne dansais pas ! Trouvez-vous un cavalier pour vous faire valoir sur la piste de danse. N’avez-vous pas une cour à séduire ?

    William, mon ami ! Comme vous pouvez être désagréable en ce moment. Pourquoi êtes-vous si rustre ?

    La danse ne me dit plus rien et d’ailleurs, je n’avais guère envie de venir. Demain je me lève tôt, et je n’ai pas de vie mondaine à assumer.

    Vous pourriez au moins me faire honneur ! Vous être mon époux !

    Sur contrat et quand cela vous arrange ! Que voulez-vous que je vous dise, ma chère ! Vous avez dû vous rendre compte que vous aviez épousé un paysan ! Il vaut mieux ne rien attendre de moi, comme je n’attends rien de vous... du reste. Je ne connais personne ici. De ce fait, je ne vais pas m’éterniser. Je laisserai la voiture pour Juliette, et rentrerais à pied.

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  •  Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34- 

    Ça me fera le plus grand bien. J’ai un mal de tête que l’air frais de la nuit pourra certainement calmer.

    Il s’écarta de la porte et s’éloigna, suivit de Ludivine qui, décidément, ne se décollait pas de lui.

    Isabelle n’écoutait plus le peintre que d’une oreille distraite. Au bout de quelques instants, elle se leva en s'excusant par politesse aupré de son cavalier qui l'ennuyait au plus haut point. S'en se préoccuper le moins du monde de sa réaction, elle lui tourna le dos et s'en alla retrouver son amie Juliette. Ne voulant guère lâcher ce qu'il croyait être sa proie, l’Autrichien l’accompagna jusqu’au salon où sa jeune amie bavardait gaiement au milieu d’un groupe de jeunes qui s'amusaient et riaient de tout et n'importe quoi. Voyant qu'il n'arriverait pas à attirer son attention, l'Autrichien prit congé d'Isabelle qui s’assit près de sa jeune amie et lui demanda discrètement :

    William est parti ?

    Oui. Il m’a dit qu’il ne s’attarderait pas et retournerait à pied chez nous puisqu’il ne veut pas danser et que cette soirée ne représente pour lui qu’une corvée. Il a fait une apparition, c’est tout ce que l’on peut attendre de William.

    Évidemment... d'ailleurs, j’ai bien envie de l’imiter puisque je ne suis pas non plus ici pour mon plaisir. Et puis, je ne se sent pas bien.

    Je l’avais remarqué, chère Isabelle. Rentrez, et si l’on vous demande, je dirais que vous vous êtes retirée à cause d’un malaise.

    Le cœur étreint par une forte émotion dont elle connaissait la source, elle regarda du côté de son père. A l’autre extrémité du salon, Edith était entourée d’une petite cour à sa dévotion. Sa robe en lamé argenté, mettait en valeur sa carnation de brune. Elle portait un admirable collier de topazes d’un bleues lagon, qui était depuis deux siècles dans la famille des de Rubens et qui, pour son âge, agrémentait le galbe encore parfait de son cou. Ce bijoux avait échappé par miracle à une vente afin de régler des factures en retard. Létroit bandeau de diamants glissé entre les ondulations de ses cheveux, était un cadeau d'un de ses anciens maris. Il composaient un ensemble savamment étudié. Elle aimait faire valoir sa beauté ! Frisant ses quarante-cinq ans que les effets du temps ne semblaient pas avoir offensé, la dArgenson rayonnait, se sentant la reine de la soirée. On ne pouvait le nier. Son éclat et sa jeunesse apparente, pour ceux qui aimaient ce genre de beauté, semblait encore intacte. Bien des femmes de l’assemblée auraient aimé lui ressembler, et cela faisait sa fierté. A ses côtés se trouvait le comte, son père, très élégant dans son smoking, portant haut le titre des de Rubens, mais qui, pourtant, n’arrivait pas à lui faire de l’ombre. Il était, en quelque sorte, le cher époux de Mme la comtesse, et il avait l’air de sérieusement s’ennuyer. Isabelle l’observait à la dérobée, se disant qu’il ne donnait pas l’impression d’être très à son aise au milieu de tout ce monde, pas plus qu’il n’affichait un évident plaisir à suivre sa femme et faire bonne figure devant toutes ces personnes dont il ne devait pas en connaître le quart. Isabelle savait son père fatigué, et cette fête ne devait pas lui faciliter le repos qu’une cure nécessite après chaque séjour. Une tempête s’éleva en en elle. Sa belle-mère avait éclipsé sa mère dans le cœur de son père et avait prit plus que sa place, aucunement gênée d'avoir détruit le couple que formaient ses parents. Isabelle était sûr que cette harpie devait être pour quelque chose dans la tragique disparition de sa mère, et cette idée la hantait. C’était trop insoutenable de la voir là, triomphante, admirée de toute cette frivole assemblée, heureuse et satisfaite d’être une de Rubens, pendant que son père venait de peut-être, se rendre compte de la futilité de cette vie trépidante qu’il menait avec sa deuxième femme, au lieu de se reposer aupré de sa première épouse si elle avait encore été de ce monde...

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  •  Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34-  

    Pendant que Isabelle était plongée dans ses tristes pensées, un danseur vint l’inviter et un autre proposa aussi à Catherine de danser. La jeune comtesse, prétextant une migraine et une fatigue subite, s’éclipsa en passant dans le petit salon pour sortir par une des portes vitrées qui donnaient sur la terrasse.

    Des invités se promenaient dans le parterre où se formaient des groupes et où l’on causait en fumant.

    Quelques lampes aux verres de couleurs répandaient une discrète lumière. Ludivine, silhouette claire au bord de la terrasse, riait doucement entourée d’un groupe de jeunes femmes jacassantes et de jeunes hommes occupés à faire leur cours à certaines d’entre elles. Isabelle se glissa dans la pénombre, le long de la charmille qui bordait le parterre inférieur. Elle sentait dans tout son être comme une grande confusion et une fatigue inaccoutumée. Fallait-il l’attribuer à cette chaleur étouffante ? La lourdeur de l’air l’empêchait de respirer correctement. Son souffle était court. L’orage n’était pas loin. Ne ferait-elle pas mieux de regagner la vieille tour au plus vite ? Cette atmosphère moite ne dissipait pas son malaise. Elle avançait d’un pas hésitant, le long du petit miroir d’eau où se reflétait la lumière voilée d’une lampe au verre de couleur qui tirait sur le rouge orangé. Une autre du côté du temple de l’amour, éclairait légèrement le jeune cupidon potelé et son carquois chargé de flèches. Isabelle contourna la petite colonnade de marbre rose et s’avança vers la balustrade qui terminait le parterre ou elle retrouva un peu de souffle. Mais quelqu’un s’y trouvait déjà. Un homme se tenait debout, les bras croisés, face à la campagne qui s’étalait dans la nuit.

    Il se détourna en entendant des pas et eut une légère exclamation en apercevant Isabelle qui s’était immobilisée. Pour se donner une contenance, elle osa ces quelques mots :

    Ah ! C’est vous, William !

    Sa voix avait une intonation d’allégresse.

    Vous en avez eu assez, comme moi ?

    Elle s’approcha de lui, un sourire détendant ses lèvres qui, l’instant d’avant, étaient crispées par cette mystérieuse angoisse qui l’étreignait.

    Ah ! Tout à fait assez ! Je l’ai dis à Ludivine et j’ai filé à l’Anglaise. Je comptais descendre par le sentier, mais il m’a pris l’idée de venir ici respirer l’air frais que la nature procure ici...

    Quel étrange accent avait prit sa voix ! Et ce ton d’insouciance affecté... Isabelle cessa de sourire. Un frisson la parcourut. Comme un coup d’aile, une inquiétude, dont le mystère se faisait de plus en plus précis, venait de passer sur son âme.Voulant se rassurer, elle trouva l’excuse de son mal de tête et de sa fatigue subite :

    Je venais chercher, moi aussi, un peu d’air dans ce lieu ombragé le jour, et je crois que c’est bien utile ce soir, car dans les salons, l’air est irrespirable.

    Avec tout ce monde, ces hommes qui fument, les bavardages incessants, ce peintre prétentieux et cette chaleur étouffante ! Je me retrouve avec une atroce migraine. Le plus raisonnable serait que j’aille me coucher. Bonsoir. Catherine sait que je me suis retirer parce que je me sentait souffrante.

    Certainement. Je vais en faire autant. Bonsoir Isabelle.

    Elle lui tendit sa main brûlante, moins encore peut-être que celle qui la serra d’une brusque étreinte.

    Mais qu’avez-vous, Isabelle ? Vos mains sont brûlantes et votre voix n’est plus la même.

    Il pencha son visage vers le siens pour tâcher d’apercevoir ses yeux au milieu de cette pénombre.

    Vous souffrez, dites-vous ?

    J’ai éprouvé une vive émotion très pénible en entendant confirmer par Adélie ce que je soupçonnais déjà depuis longtemps.

    Que soupçonniez-vous ?

    Que mère a souffert par la faute de mon père et de sa maîtresse qui est aujourd’hui… notre belle-mère.

    William dit à mi-voix, avec une douceur compatissante :

    Pauvre Isabelle !

    Vous le saviez, William ?

    Non. Je n’étais pas au courant de l’adultère de votre père.

     

    Ma mère m’avait vaguement parlé de votre mère, de son air triste, mais sans en connaître la raison. Ma mère aimait beaucoup votre mère. En tout premier lieu, Elle tint quelque rigueur à la nouvelle comtesse de Rubens de s'être faite épousée sans attendre la fin du deuil de votre père ; mais elle se laissa prendre ensuite par cette habile et astucieuse femme. Malheureusement, j’ai été assez fou pour en faire autant, acheva-t-il entre ses dents.

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