• Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -19-
     Isabelle eut un rire bref, chargé d'une colère à peine masquée.

    De toutes façons, je n'obéirais pas à mon père, pas plus qu’à cette femme de malheur !

    Adélie la gronda gentiment :

    Cela ne pourra se passer tel que vous le souhaitez. Vous êtes trop jeune pour gouverner votre vie telle que vous l’entendez. Vous êtes sous l’autorité de votre père, que vous le vouliez ou non, et vous ne pourrez rien y changer jusqu’à votre majorité. Je pense, ma chère enfant, que vous vous cabrez pour rien. Il faudrait vous contrôler, même si cela vous est dur ! Heureusement que vos propos ne sortiront pas de la vieille tour, ce qui vous amènerait encore de nombreux ennuis !

    Isabelle s'avança doucement vers sa vieille amie sachant qu'elle pouvait avoir toute confiance en elle, et qu’elle ne la laisserait jamais seule. Elle aimait sa chère Adélie. Avec mille précautions pour ne pas la heurter et lui faire mal, elle se laissa choir lentement à ses pieds et posa sa jolie tête blonde sur ses genoux. Tout en lui caressant ses beaux cheveux, Adélaïde confia à sa protégée qu’elle avait bien perçu, d’après ses confidences, que le changement du jeune homme envers Ludivine, la choquait. Ce qui lui fit poser la question qu'elle sentait très embarrassante pour sa protégée :

    — Ma chérie, pourquoi est-ce que cela vous gêne de savoir votre cousin germain susceptible de se fiancer à Ludivine ?

    Elle n’est pas faite pour lui. Elle va le faire souffrir... et si c’est pour sa fortune qu’il l’épouse, je puis vous assurer que le mariage sera voué à l’échec.

    Que dites-vous là, Isabelle ? Pourquoi imaginer que votre cousin n'a en tête que la fortune de Mlle de Richemont ? N’est-elle pas assez jolie pour lui plaire ? Êtes-vous jalouse de l’intérêt qu’il lui porte ?

    Il a changé envers moi depuis que la d’Argenson est devenue la femme de mon père. Il ne me considère plus comme si j’étais son égale. que lui ai-je donc fait ? Des bruits courent dans les couloirs du château au sujet des fiançailles de sa fille et de mon cousin germain. Cette femme est diabolique ! Elle a réussi à détourner de moi toute la famille des environs apparentée à la nôtre. Du temps de maman, j’étais acceptée partout où mère était invitée.

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  • Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -20- 

    Ce qui me peine, c’est que cette vipère à décider de piéger William afin de faire en sorte que, tôt ou tard, il se fiance à sa fille et par la suite, qu’ils se marient. De cette façon, les deux domaines s’en trouveraient réunis. La mégère et sa fille auraient mains mises sur les deux domaines s’il arrivait quelque chose à ma tante Marie-Catherine puisque Ludivine serait devenue, de part ce mariage, comtesse de Rubens. J’ai entendu la mère et la fille comploter entre elles dans un des boudoirs du château, alors que j’étais cachée non loin d’elles…

    Isabelle, vous espionnez votre belle-mère et sa fille ?

    Oui. Il faut que je sache ce qu’elles cherchent à faire...

    Isabelle, ne voulu pas s’étendre plus avant sur ce qu’elle pensait. Ses mains se crispèrent sur la robes de sa marraine qui était une femme d’une nature très bonne, patiente et très compréhensive. Elle sentit que sa protégée n'en dirait pas plus et n'insista pas.

    Après le décès de sa mère. Isabelle s’était retrouvé seule sans son père... un père inexistant puisque trop souvent absent pour s’occuper d’elle. La petite fille s’était tournée tout naturellement vers la préceptrice de sa mère, dont la générosité et la douceur avait apporter à l’enfant de six ans qu’elle était à l’époque, tendresse et amour, afin d’adoucir son absence. L’aider à surmonter sa peine était sa seule préoccupation. Lorsque, en grandissant, l’enfant lui posait des questions embarrassantes sur sa maman, sa marraine lui expliquait que le bon Dieu l’avait rappelé à lui pour des raisons que, trop petite, elle ne pouvait comprendre, mais que sa maman était heureuse et qu’elle était devenu un ange qui veillait sur elle.

    Adélaïde ne pouvait supporter le désintéressement du comte envers sa petite fille qui était pourtant la chose la plus précieuse que lui avait donné sa femme tant aimée avant de mourir. Son comportement était inadmissible. Adélaïde ne comprenait pas l’absence totale d’intérêt que le comte montrait envers cette enfant qui était de sa lignée. On aurait dit que Rudolph de Rubens désirait oublier la triste réalité de cette tragédie en négligeant la petite qui n’était pas responsable du décès de sa femme, mais qui en payait le prix en grandissant seule, sans même une présence paternelle.

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  • Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34-

    Chapitre XI

    — Je vois que vous n’avez guère remarqué que je ne suis plus l'adolescente très détestable que vous avez connue, mais que je suis en âge de me marier comme vous le fîtes vous-même, il y a quelques années, et surtout, ne vous fiez pas à vos idées préconçues, car je pourrais bien vous surprendre concernant non caractère qui n’a aucunement changer en cinq ans, mais, bien au contraire, il s’en est trouvé très affirmé grâce à ce séjour chez mon oncle, Sir de Montaigu-Meldwin. Je ne suis pas d’un abord facile pour qui ne me convient pas. Il faudra vous y faire. Les mains souples, un peu courte, aux ongles nuancés de rose très pâle de la nouvelle comtesse Rubens-Gortzinski, se crispèrent sur sa robe de soie d’un blanc légèrement crémeux. D’un air qui se voulait aimable et sur le ton d’une plaisanterie qui se voulait, elle aussi, anodine, elle ripostât :

    Vraiment ? Serait-ce que l’on vous a supporté à Verte-court ?

    Devant cet air de plaisanterie ingénue, ce regard doucereux et presque naïf, Isabelle sentait tout son corps frissonner et se cabrer. Elle lâcha presque sur le même ton que la femme de William :

    Très bien supportée. Il y a la manière pour dompter les monstres de mon espèce. Vous ne l’avez guère.

    Un rire bref, sarcastique, s’éleva derrière Isabelle.

    Vous ferez bien, Ludivine, de revoir votre façon de penser d’un temps révolu où nous étions aveuglés par persuasion d’un esprit retors. Il serait difficile désormais de nous faire changer d’opinion. Vous ne gagneriez pas à ce petit jeu. Essayez, pour le temps que vous séjournerez ici, d’être assez aimable avec notre cousine Isabelle. Méfiez-vous ! Elle a du répondant et ne sera pas en peine de vous remettre à votre place.

    Le visage de Ludivine toujours aussi délicatement frais, parut se crisper un instant en se rendant à l’évidence que son mari prenait la défense de sa cousine, plus que la sienne. Isabelle, tournant la tête, regarda son cousin, toute étonnée de le voir réprimander sa femme sous le regard médusé des habitants d’Aigue-blanche. Les yeux de William, singulièrement foncés en ce moment, s’attachaient sur sa jeune femme avec une expression de dureté impérieuse. Ludivine eut une moue semblable à celle d’un enfant prêt à pleurer.

    Pourquoi voudrais-je vous en faire changer d’avis, mon ami ? Ce que vous pensez est toujours le plus parfait à mes yeux.

    — "Quelle Hypocrite ! Pensa Isabelle."

    Qu’elle était jolie et gracieuse, cette Ludivine, dans sa robe d'un blanc crème qui faisait paraître sa peau  encore plus satinée. Ses bras minces, son cou bien modelé qu’entourait un collier de perles suffisait à sa beauté. Quelle caressante et suave douceur dans ses prunelles levées vers William ! Quelle fausseté aussi ! Mais le visage durci de celui-ci ne se détendit pas. Les mimiques de sa femme n’y changèrent rien. Apparemment, il connaissait son petit jeu. Par la suite au cours du repas, lorsqu'on servit le thé dans le jardin, Isabelle put constater que l’attitude de William envers sa femme demeurait impassiblement la même. La présence de Ludivine semblait agir désagréablement sur tout le monde. La joyeuse Juliette, elle-même, perdait une partie de son entrain. Aucunement consciente de l’effet qu’elle produisait sur le petit groupe, Ludivine, sereine, aimable, parlait de sa vie à Paris, de ses voyages avec sa mère et son beau-père sans aucune gêne devant une assemblé muette de déplaisir.

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    La jeune comtesse eu, néanmoins, un aperçu de l’existence dorée que tous trois menaient en écoutant bavarder sa rivale qui ne tarissait pas d'éloges sur son beau-père. Il la gâtait outrageusement, se souciant peu de l'existence de sa propre fille du temps ou elle vivait près de son oncle. A force d'écouter Ludivine se vanter de l'amour que lui portait son beau-père, Isabelle apprit, par la même occasion, que son père, depuis quelque temps, était souffrant, et que le médecin avait conseillé une cure à La Baule où il se trouvait en ce moment avec la d’Argenson. Ludivine, rose de plaisir, était tout à son avantage de pouvoir annoncer que bientôt, il y aurait une grande fête au château, et qu'il serait habité pendant quelques jours par leurs amis et leurs connaissances. A cette occasion, elle séjournerait à Monteuroux. Elle s'empressa de préciser à l'auditoire que les invités arriveraient à Monteuroux vers la mi-Août :

    Cela fait un peu tôt, quoi que cette année, le temps est clément reprit Ludivine.

    Isabelle se fit un plaisir d'expliquer à cette Péronnelle, que le temps, à part quelques jours de pluie en mars, était clément depuis le début du printemps. Elle continua pour la mettre mal à l'aise :

    Encore aujourd'hui, le soleil nous fait l'honneur de sa chaleur et de sa lumière. Nous avons beaucoup de chance, et nos promenades n'en sont que plus agréables, mais pour cela, il faut aimer la campagne... Mes cousins et moi-même, aimons la nature, contrairement à vous, Ludivine et votre mère...

    Piquée au vif, celle-ci en enrageait intérieurement de ne pas pouvoir répliquer, car elle savait très bien ce à quoi Isabelle faisait allusion. Elle feint de ne pas avoir entendu l'insinuation de sa rivale concernant son manque de présence aupré de son époux. Elle fit donc mine de ne pas se soucier de la réplique de la jeune comtesse, et continua son bavardage :

    Nos amis vont avoir le privilège de très belles soirées ! Les fêtes que ma mère va donner sur plusieurs jours, devraient être réussi ! A propos, j’ai peur qu’il n’y ait plus de place pour votre cabriolet, chère Isabelle. Voyez si vous ne pouvez pas lui trouver une autre place dans les ruines de château-vieux.

    Le cabriolet restera là ou il est actuellement ! Aboya William sur sa femme qui en prenait un peu trop à son aise, se croyant légitime propriétaire de Monteuroux.

    Ludivine surprise du ton encore une fois employé par son mari, n’osa dire mot et continua son pérorage assommant qui n’intéressait personne :

    Lorsque la plus part de nos invités, seront repartit, à notre tour, nous nous en irons pour Aix les bains.

    Isabelle pensa que la dArgenson ne venait jamais à Monteuroux sans sa cour d'admirateurs, il n’y avait presque personne à château-neuf avant la fin août, car sa belle-mère estimait que le climat était encore trop froid pour elle, sa fille, son petit fils et son époux : ce qui était faux, bien sûr ! Son père avait toujours vécu à Monteuroux sans être, pour autant, nullement affaiblit ! Que ce passait-il ? Serait-ce, ce à quoi elle pensait ? Sa belle-mère préparait-elle la fin de vie de son son père de façon à ce que rien ne se remarque et passe pour un affaiblissement dû à une maladie comme elle le soupçonnait depuis longtemps ? Elle allait devoir surveiller les manigances de cette femme qu'elle n'aimait décidément pas plus que lorsqu'elle vivait à château-vieux du temps de son adolescence.

    Le soir de sa première confrontation avec une Ludivine désirant se faire valoir, comme à son habitude, Isabelle sortit de la vieille tour, tentée à la fois par un magnifique clair de lune, et par une relative fraîcheur venant des des bois et collines alentours. Comme souvent, elle désirait se rendre en pèlerinage jusqu’à l’étang, lieu symbolique où sa mère y avait laissé la vie. C’était important pour elle. Isabelle espérait sans oser se l’avouer, revoir son fantôme telle une ombre légère dans la nuit claire. Cela faisait si longtemps... Elle passa par le parterre, descendit les vieux degrés de pierres, vieillit par le temps, qui conduisait au parc, et emprunta le sentier menant directement là ou elle désirait se retrouver.

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    L’apaisante luminosité de cette nuit de juin détendit ses nerfs mis à rude épreuve par la présence de la fille de sa pire ennemie. Se faire violence pour supporter l’idée d’avoir à côtoyer cette peste gênait fortement la jeune comtesse :

    Il va falloir que je la supporte le temps de son séjour à Aigue-blanche. Pensait Isabelle. Je ne sais si j’y arriverais ? Il faut que je me tienne loin d’elle le plus possible. Il y aura certainement des jours où je ne pourrais l’éviter, pas plus que sa mère, d’ailleurs ; mais il faudra que je me contienne devant leurs insinuations...

    Tout en avançant, Isabelle ne s'était pas aperçu que sur les chemins l’ombre des vieux arbres l’avait enveloppé toute entière. La saine odeur du bois résineux provoqua en elle un frisson de plaisir. Dans le silence, l’eau d’une source cachée s’égouttait le long d’un rocher moussu. Un oiseau de nuit hulula. Isabelle avançait comme dans un songe. Elle pensait à William et à ce visage glacé qu’il opposait aux sourires mielleux et au regard enjôleurs de sa femme. Que lui avait-elle donc fait pour qu’il ait, à son égard, une telle attitude ? Que lui avait-elle fait pour qu’il dissimule au fond de son âme cette souffrance indéfinissable qu’elle ressentait elle-même lorsqu’elle l’observait à la dérobée ? Malgré lui, lorsque Ludivine séjournait à Aigue-blanche et qu'il était obligé de tenir compte de sa présence, cette femme-enfant, refusant les responsabilités qui lui incombait en tant qu’épouse puisqu’il ne vivait pas avec elle, il ne pouvait s’empêcher de lui montrer de l’animosité. Après tout, la seule obligation de vivre quelques semaines par an près d’elle et non pas avec elle lorsque l'on a une âme loyale et fière, cela devait être le summum de l’humiliation pour un homme droit et fière tel que lui. Son attitude ne suffisait-elle pas à expliquer l’étrange comportement de son cousin avec elle ? C'était d'autant plus étrange quand on l’avait vu si différent avec sa famille... depuis qu’elle était de retour, ce n’était plus le même homme. Sous sa réserve habituelle, elle avait appris à connaître sa valeur morale et à soupçonner, en lui, une sensibilité farouchement cachée. Quand il se trouvait en sa présence, aucun mouvement de lassitude, aucune variation dans son regard ou d’intonations de voix ne lui échappaient. Isabelle ressentait à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle, une sorte de curiosité avide qui donnait un sens à sa vie... Un goût chaque jour plus vif… Elle aimait ses rencontre avec son cousin, même si elle s’en défendait.

    Au bord de la clairière, apparut la petite maison d’Adrien qui n'était qu'un rez-de-chaussée protégée par son toit de chaume. Une charmille bordait le jardin, cachant ainsi le vieille homme qui, selon son humeur, ne désirait pas être vu. Sous une des fenêtres de la chaumière, le jardinier fumait sa pipe en se balançant sur son rocking-chair abrité par une avancée le protégeant du soleil les après-midi ou il s'accordait un peu de repos. Il murmura un vague bonsoir demoiselle, auquel Isabelle répondit distraitement. Elle se surprit à penser que, peut-être, avait-il été là, à cette même place, quand la jeune comtesse de Rubens était passée autrefois dans ce chemin, s’en allant vers son destin tragique ? Isabelle n’avait jamais songé à le lui demander. Le vieillard dhumeur taciturne, ne répondant plus que laconiquement à qui lui posait des questions. C'était un vieil homme taiseux avec qui l'on n’engageaient guère à la conversation.

    Quand elle atteignit l’étang, la lumière du disque lunaire projetait un gris argenté éclairant la surface liquide. Isabelle s’approcha de la berge, s’arrêta près de l’endroit où Daphné avait sombré dans la profondeur de cette étendue d'eau. Isabelle se mit à frissonner sans en connaître la raison. Dans cette clarté que la pleine lune favorisait, les nénuphars refermés en boutons, semblaient irréels et comme posés là par magie.

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    Pour la première fois, elle remarqua que les nénuphars, le soir, repliaient leur corolle pour former un bouton. Elle n'y avait jamais prêté attention, et de voir ces fleurs se refermant pour la nuit, lui fît comprendre que sa maman n'était pas venue à cet endroit pour cueillir ces fleurs, ce qui la fît s'enfoncer dans la certitude qu'une main meurtrière l'ayant férocement poussé dans l’eau. Du cœur d’Isabelle monta une prière pour sa mère trop vite disparue. Elle resta un long moment, les yeux fixés sur ces fleurs aquatiques avec la certitude qu’il n'y avait aucun intérêt à vouloir les cueillir la nuit. De plus, ces fleurs étaient vraiment trop peu rapprochées de la berge pour que lon ait pu facilement les atteindre. Comment sa jeune mère avait-elle put être aussi imprudente pour vouloir en cueillir une, surtout vers les onze heure du soir, même sous une clarté lunaire propice aux promenades ? Cette réflexion la laissa en pleine perplexité et avec un sentiment d’insatisfaction. Les années d’absence n’avaient en rien changé sa façon de s’imaginer la scène. Pour elle, il était clair qu’un geste malveillant, avait délibérément supprimé la vie de sa jeune mère. Ce ne pouvait être que ça. De nouveau, un hululement se fit entendre et sortit Isabelle de sa méditation. Dans le silence de cette heure tardive, l’oiseau de nuit répéta sa plainte. Isabelle s’écarta de la berge sans avoir aperçu l’ombre d’une apparition, pas même une plainte ou le murmure de son prénom. Après tout ce temps passé loin de Monteuroux et de l’étang-aux-ormes, peut-être était-il normal de ne rien voir ni rien ressentir ? La jeune comtesse avait changé, et son état d’esprit n’était plus le même qu’autrefois, pourtant, sa sensibilité était toujours aussi exacerbée et elle ne comprenait pas que le moment n’était peut-être pas propice au souhait qu’elle espérait voir se réaliser de toute son âme. Isabelle décida d’aller prendre l’ouvrage qu’elle avait oublié l’après-midi même au pavillon. D’un geste vif, grimpa les quelques marches et elle ouvrit l’une des portes vitrées donnant sur la grande salle. Elle eut soudainement un cri qui s’étouffa dans sa gorge. Une femme debout au seuil d’une des portes vitrées donnant sur l’arrière pavillon, venait de se retourner brusquement.

    Qui vient là ? Qui...

    Dans un pâle visage, deux yeux irrités s’attachaient sur la jeune comtesse.

    Oh ! Pardon, ma tante ! J’ignorais…

    Isabelle voulu rebrousser chemin, mais sa tante la retint de la voix :

    Tu es Isabelle ?

    Cétait bien Victoria de Rubens qui l'apostrophait ainsi. Elle était vêtue d’une robe de satin noir très ample qui la dissimulait jusqu’aux pieds, mais ne pouvait complètement cacher la déformation de son corps. Sa tante ’interpellait d'une voix légèrement rauque comme celle d’une personne peu habituée à parler et qui, de plus, était enrhumée, ce qui ne facilitait pas l'élocution. Isabelle se sentait dévisagée, épiée, mise à nue avec une brutalité déconcertante.

    Oui, ma tante.

    Approches-toi, que je te vois mieux.

    Isabelle obéit. Victoria lui saisit la main, l’attira près de la porte qui donnait sur l'étang baigné par la pleine clarté de la voûte étoilée embellit par cette clarté lunaire.

     

    Antoinette avait raison. Tu me ressembles étrangement, dit-elle. 

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    — On ne peut pas nier que tu sois ma nièce !

    Isabelle la considérait avec une compatissante curiosité. Les traits amaigris de sa tante étaient encore beaux, mais le magnétisme de son visage se trouvaient dans ses yeux brûlants d’un feu intérieur animés d’une vie secrète et ardente. De nouveau, le regard intimidant de sa tante scruta Isabelle.

    Que viens-tu faire ici ?

    Chercher mon sac à ouvrage que j’avais oublié cet après-midi. Veuillez bien excuser mon intrusion dans votre intimité, ma tante. Aurais-je troublé votre solitude ?

    Pourquoi choisir cette heure pour venir te promener de ce côté-ci du parc ? Ton sac ! Tu l’aurais aussi bien retrouvé demain matin ! Qu’est-ce qui t’attire ici ?

    Principalement le plaisir d'admirer l’étang au clair de lune où ma jeune mère s’en est allée...

    Ah ! Toi aussi tu aimes cet étang ?

    Il sembla à Isabelle qu’une note se fêlait dans la voix de Victoria.

    Ne te laisses pas aller à ces rêveries, mon enfant. Ce n’est pas bon pour toi.

    Victoria détourna son visage de sa nièce, et il devint moins distinct pour la jeune fille. Sa tante semblait respirer avec difficulté. Isabelle, après une courte hésitation, dit résolument :

    Antoinette m’a appris que vous refusiez de me recevoir, ma tante. Cependant, j’aurais été si heureuse de...

    Heureuse ? Heureuse de connaître une réprouvée comme moi ?

    Une sorte de rire douloureux soulevait sa poitrine et la fit tousser.

    Vous n’êtes pas une réprouvée, ma tante ! Vous êtes seule comme je l’ai été si longtemps à la mort de maman. J’ai souffert de cette solitude. J’étais bien jeune alors, et l’on m’a, moi aussi, en quelques sortes, relégué aux oubliettes. J’aurais aimé vous connaître à cette époque et avoir votre affection comme je vous aurais donné la mienne. Nous aurions pu nous découvrir, nous apprivoiser, nous apprécier, et vous m’auriez communiqué votre savoir qui est si grand, ma tante ! Nous pouvons encore nous connaître mieux, si vous le désirez ? Vous souffrez, mais ne pensez-vous pas que mon affection pourrait vous être douce ?

    Je ne mérite guère ton affection.

    Tout le corps de Victoria sembla se raidir. Isabelle s’en aperçu et insista avec douceur ; mais sa tante refusa net l’affection de sa nièce et lança, furieuse :

    Je ne veux l’affection de personne !

    Ces mots furent jetés comme un cri de désespoir qui fit tressaillir Isabelle.

    Ma tante, pourquoi ? Je serais si heureuse que vous m’aimiez un peu et que vous me permettiez de vous aimer en retour ! Nous sommes deux âmes seules depuis si longtemps !

    Serait-il possible que tu m’aimes, moi ?! Tu voudrais m’aimer ?! Est-ce que l’on peut aimer un monstre ?!

    Il n’y a pas que la beauté qui compte moi moi, ma tante. Seule la beauté du cœur compte. La vie ne vous a pas épargné… d’une certaine façon, elle ne m’a pas épargné non plus. Nous aurions pu apprivoiser nos deux cœurs solitaires et nous apporter un réconfort mutuel ?

    La voix d’Isabelle tremblait de peur d’être rejetée encore une fois ; mais soudain, celle de sa tante sombra dans un long sanglot rauque, lançant à sa nièce stupéfaite, toute sa souffrance avec la force du désespoir. Ses yeux brûlants de fièvre s’attachèrent un instant sur le doux visage ému de sa nièce. Oh ! Ce magnifique visage ! Victoria ne put en supporter davantage. Elle lui cria avec véhémence :

    Va-t’en, ma fille. Va... Laisses cette malheureuse à son tourment, car tu ne peux rien pour elle.

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    Et n’oublie pas ceci. C’est un conseil que je te donne là et qu’il ne faut pas prendre à la légère. Prends garde à ta belle-mère, Isabelle... Prends bien garde à cette femme ! Elle est capable de tout ! Ne lui laisse pas le moyen de trouver une faille en toi qui pourrait lui permettre de te détruire ! Elle est dangereuse et ne t’aime pas comme elle n’aimait pas ta mère ! Sois méfiante à tous point de vue ! Méfie-toi aussi de sa fille qui ne vaut pas mieux qu'elle !

    Victoria se détourna de nouveau, et parut reprendre sa contemplation qui avait été interrompu par Isabelle entrant dans le pavillon de chasse. La jeune comtesse, encore toute retournée d’avoir pu, enfin, rencontrer sa tante, était perdue. Le sac à tricot qu'elle était venu chercher n'avait plus aucune importance, car Isabelle avait oublié ce pourquoi elle était venue, toute boulversée par le ton étrange qu'avait employé sa tante pour lui donner ce dernier avertissement concernant sa belle-mère et sa fille. Isabelle ne pouvait pas s’empêcher de faire le rapprochement avec sa mère qui lui avait fait part de l’air malsain que déjà elle avait respiré à Monteuroux avant sa mort. Depuis le remariage de son père avec cette d'Argenson, le mal était toujours là à guetter… Mais de quel mal parlait sa tante ? Que pouvait-elle encore lui faire cette dArgenson qui, déjà, avait écarté d’elle son père et tenté de la rendre odieuse aux yeux de ses cousins germains d’Aigue-blanche ? Et comment Victoria pouvait-elle bien la connaître, elle qui déjà, s'enfermait progressivement dans son mutisme, cloîtrée volontairement dans la vieille tour au moment où la d'Argenson était entrée en relation avec les châtelains de Monteuroux. Sa tante avait dû suffisamment en entendre parler par ses serviteurs et Antoinette, sa femme de chambre qui lui servait aussi de dame de compagnie et qui, sans doute, ne lui cachaient rien de tout ce qu'il se passait en dehors de la vieille tour...

    Cette nuit-là, Isabelle ne put fermer l’œil. Elle se sentait encore toute désemparée par la rencontre avec sa tante, et les recommandations qu’elle lui avait faite concernant sa belle-mère. Isabelle se sentait de nouveau en danger. Il fallait qu’elle reste vigilante quant à l’intégrité de sa personne. Décidément, le mystère autour du château de Monteuroux et de l’étang-aux-ormes, s’épaississait.

    Puisque la présence de Ludivine avait modifié quelque peu les habitudes bien établies des habitants de Aigue-blanche, ainsi que les siennes, Isabelle se rendit moins souvent au manoir pour éviter toute rencontre imprévues avec elle. C'est Juliette qui venait la voir presque chaque jour, soit à bicyclette, soit à pied quand elle ne prenait pas son vélo.


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    Elle passait par le sentier de la poterne qui, depuis bien longtemps, demeurait ouverte car l'on ignorait ce que la clef était devenue. Parfois William venait chercher sa sœur en voiture, et en profitait pour prendre le thé avec les deux amies dans la tour. C'est alors que son visage assombrit par des tracas inavoués, retrouvait toute sa gaîté. Il aimait s’attarder une heure ou deux pour causer avec sa sœur, admirer les dessins ainsi les aquarelles d’Isabelle qu'il qualifiait d'admirables. Ils avaient, d’un accord tacite, renoncé aux promenades à cheval, car Ludivine aurait voulu être de la partie. Or, disait Juliette :

    C’est une chose bien suffisante que de l’avoir toujours dans nos jambes lors de nos distractions, et dans la maison telle une chatte qui ronronne à longueur de temps, faisant mine d’être prête à offrir son aide et finalement, faire en sorte de ne s’occuper que de sa petite personne !

    Parfois, la jeune comtesse venait à Monteuroux et passait l’après-midi avec son fils dans le parc. Isabelle, jusqu’alors, avait toujours évité de se trouver en sa présence. Elle s’était réjouie de se trouver au village un jour où Ludivine était montée au premier étage de la vieille tour. Mais elle songeait, toute à sa joie, que bientôt la jeune femme passerait une grande partie de son temps à château-neuf, dès l’arrivée de sa mère et de son beau-père. De plus, il était prévu que Mr et Mme de Rubens donneraient une grande fête ou les invités logeraient à Monteuroux. Château neuf était propice aux réceptions, ce qui ferait disparaître, pour un temps, la tristesse des lieux. Isabelle aimait le calme et la solitude des jardins et du parc. La tranquillité de ces lieux seraient donc troublées pendant deux ou trois semaines avant que son père et sa belle-mère ne s’en aillent à La Baule.

    Pendant les festivités,vous viendrez plus souvent chez nous. Lui disait son amie Juliette.

    Le plus souvent possible. Ajoutait William avec un sourire qui en disait long sur ce qu’il en pensait de ces fêtes et invitations dont il n’avait que faire. Pour ce qui leurs restaient de temps sans être importunées par des obligations mondaines, les deux jeunes amies savouraient le calme des promenades dans la verte campagne. Sachant très bien jouée de l’orgue, Juliette faisait un détour par la petite église pour demander la permission d'emprunter l’imposant instrument à l’abbé Forges afin de faire écouter à son amie, certaines œuvres dont elle savait lire la partition.

    Il était très imposant cet orgue qui trônait sur toute la largeur dur mur de façade de l’église, juste au dessus de la grande porte à double battants, qu’une mezzanine agrémentée d’un balcon en bois de chêne surplombait. Pendant une petite heure, Juliette jouait. Elle semblais toute petite, assise au pieds de cet orgue magnifique. Pensivement, Isabelle écoutait les sons qui sortaient de l’instrument imposant. Juliette était une vraie virtuose et ne pouvait quitter l’église sans avoir joué La Toccata et Fugue en ré Mineur de Jean Sébastien Bach. Isabelle était subjuguée par la profondeur de cette œuvre qui la pénétrait au plus profond de son âme.

    Lorsque son amie eut terminé, après quelques minutes de recueillement, Toutes deux allèrent voir la mère de l’abbé qui n’était plus très jeune non plus, mais qui les accueillit avec une amabilité et un plaisir non dissimulé. Elle bavarda avec les jeunes filles pendant prés de trois quart d’heure. Ensuite, Isabelle et Juliette s’en allèrent rendre visite à Émilie Granchette. Elles restèrent une bonne demi-heure à papoter avec la vieille servante, puis elles remontèrent ensemble à Monteuroux.

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    Isabelle ne pouvait pas, non plus, confier à sa tante Victoria qui vivait retranchée dans sa farouche solitude et qui ne pourrait malheureusement pas vivre éternellement vu sa maladie. Ce secret qui commençait à lui peser qui lui faisait entrevoir un seul prénom digne de sa confiance.  Ce  prénom n'était autre que celui de William. Sans oser se l'avouer, son cousin-germain était cher à son cœur et elle ne prendrait pas le risque de lui confier ce lourd secret si difficile à porter seule. Si elle lui confiait le soins de protéger ces joyaux, de les considérer comme son bien au cas où sa mort interviendrait prématurément, ce n'était pas faisable non plus. Son souci était qu’après William, ce serait le fils de Ludivine qui en hériterait si les deux femmes lui laissait le temps d’en jouir, car la mère et la grand-mère du petit Thierry, bien avant qu’il ait atteint sa majorité, cupides comme elles l'étaient toutes les deux, elles s’empresseraient de dépenser cette fortune trop longtemps convoitée, en futilités. Poussant encore plus loin dans son raisonnement, Isabelle se dit que, dès que les joyaux seraient en possession de William, la machiavélique d'Argenson ferait, avec l’aide de sa fille, en sorte qu’il soit victime d’un accident de voiture qu'elles auraient préparé minutieusement, de façon à ce que le meurtre ne soit pas découvert. Si sa belle-mère était, d’après Victoria, si venimeuse, elle serait bien capable, pour arriver à ses fins, d’en arriver à l’acte ultime qui serait d'assassiner le détenteur des joyaux hindoue lui ayant été confié ? Il risquait d'y avoir là, une trahison vis à vis des dernières volontés de son aïeule. Il lui fallait trouver autre chose...

    Presque machinalement, elle traçait sur le papier des contours qui se transformaient en des chauves-souris volantes parmi les arbres aux formes fantasmagoriques. Sur un fond de laque pâle, elle obtiendrait là, une décoration pour un paravent qui ne manquerait peut-être pas d’originalité. Elle prit la résolution de demander conseil à son cousin qui avait un goût très sûr. Entendant un bruit de pas, elle songea que c'était certainement Juliette qui après ses corvées du jour, venait la retrouver là ou Isabelle se sentait le mieux. Elle tourna la tête vers l’étroite ouverture cachée du couloir voûtée qui menait à la poterne. Non, ce n’était pas Juliette, mais William. Il dit avec surprise :

    Ah ! Vous êtes là, Isabelle ? Vous travaillez, je voie !

    J’essaie, mais je ne suis pas en train. Je me suis perdu dans mes pensées qui m’ont emmenées très loin, et c’est presque machinalement que j’ai fais ces esquisses. Elle souriait en lui tendant la main, tandis que William lui annonçait :

    Juliette ne viendra pas aujourd’hui. Ma mère et elle s’occupent de faire des confitures pour l’hiver prochain. Elle m'a demandé de vous prévenir, comme promis. J'en profite pour vous apporter cet ouvrage de Charles Dickens dont André et moi vous avions parlé l’autre jour… mais... Isabelle, quelle imprudence de vous asseoir à cet endroit dangereux !

    Isabelle eut un léger rire.

    J’y suis tellement habituée ! C’était mon refuge préféré, autrefois. Ma bonne Adélie savait seule où me trouver quand, par hasard, on me demandait au Château. Mais puisque vous voilà, donnez-moi donc votre avis sur ce dessin.

    Elle lui tendit l’album, puis se leva en secouant sa robe quelque peu froissée.

    Qu’en dites-vous pour un paravent, ou un panneau décoratif ?

    Très bien... Ce dessin a du caractère. Rien de mièvre ou de trop recherché. On reconnaît votre nature dans vos œuvres, Isabelle.

    Il la regardait avec une attention grave, ardente. Les joues mates d’Isabelle prirent soudain une couleur rosée. Ses cils frémirent sur ses yeux aux couleurs changeantes.

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    — Une nature que j’ai méconnue autrefois, pensa William...

    La bouche du jeune comte eut une crispation d’amertume. Isabelle reprit l’album d’entre ses mains, et se mit à en tourner nerveusement les pages. Des bouffées de chaleur orageuses entraient dans la vieille salle, soulevant légèrement les boucles blondes qui encadraient ce jeune visage frémissant d’une émotion contenue. William s’en aperçu, hésita un peu, puis il osa une question :

    Vous souvenez-vous de ce que vous m’avez répondu un jour en sortant du presbytère, un peu après que votre père vous eut appris que vous seriez envoyée en Angleterre ? Et Isabelle de répondre :

    — Vous avez dit que je ne faisais pas ce qu’il fallait pour que l’on me regrette un jour. Et vous avez ajouté que Mme de Rubens et Ludivine souhaitaient sincèrement m’aimer, mais que je ne faisait rien pour... Vous m'aviez blessé à cause de votre l'opinion que vous aviez sur moi, et je vous ai répondu : 

    — Lorsque vous aurez appris à les connaître mieux, vous vous souviendrez avec regret de ce que vous me dites aujourd'hui. là, à cet instant.

    Et le jeune comte de murmurer pour elle seule :

    — Oui, ce jour est arrivé bien trop vite, Isabelle. Vous aviez raison de me mettre en garde alors que vous n’étiez qu’une toute jeune fille. Je n’ai pas voulu voir le piège tendu par cette diablesse qui allait devenir ma femme.

    — Vous étiez depuis déjà trop longtemps sous l’influence de votre belle-mère et de sa fille. Je suis très peinée pour vous, William, d’avoir été si clairvoyante. 

    Au bout que quelques semaines je compris la méchanceté et la fourberie de votre belle-mère qui est aussi, maintenant et malheureusement, la mienne.

    En ce qui concerne mon père, qui ne voie, encore à ce jour, que par elle, je peux vous assurer que son jeu de séduction est au point et j’en suis désolée pour lui. Je ne pense pas que l’admiration qu’il lui porte ne se tarisse un beau matin. Mon père est un homme faible... William, j’ai perdu l'amour de mon père depuis que cette femme et sa fille sont entrées dans sa vie...

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    Les yeux baissés, Isabelle promenait ses doigts un peu tremblants entre les feuilles de son album. Dans la voix de William se devinait une âpre souffrance qui pénétrait jusque dans son propre cœur. Une sourde douleur qu’elle ne devait pas dévoiler au jeune homme sans trahir les sentiments qu’elle éprouvait pour lui et qui se faisaient de plus en plus forte, la troublait plus qu’elle ne l'aurait voulu. Sous le regard intense du jeune comte, Isabelle leva enfin les yeux, hésitante, ne sachant si elle devait toucher à cette profonde blessure qu’elle devinait en lui. Elle murmura :

    Pourquoi avez-vous fait cela ? Dites-moi, William ?! Je n’ai jamais compris ! Vous... et elle !

    Il dit brusquement :

    Vous m’avez blâmé ? Méprisé, peut-être ?

    Ils se regardaient intensément, ne pouvant détacher leur regard l'un de l'autre, leurs lèvres se touchant presque, leur visage reflétant un profond sentiment contenu par une interdiction qu'ils ne pouvaient trahir. Tous deux ne connaissaient que l'intégrité.

    Isabelle répondit avec douceur :

    William, pardonnez-moi. J’ai eu tort de croire que vous faisiez ce mariage par intérêt, mais depuis mon retour, j’ai été complètement détrompé sur ce point.

    Alors, pourquoi l’ai-je épousé, d’après-vous ?

    Sa voix était brusque, haletante, presque violente.

    Parce que vous l’aimiez à ce moment-là. Répondit Isabelle.

    Une sorte de rire s’étrangla dans la gorge du jeune homme.

    L’aimer, moi ! Non, certes !

    Alors, on vous y a forcé ? Vous a t-on poussé à faire un mariage de raison ?

    Comment vous expliquer ? Javais vingt-deux ans, mon cœur était inexpérimenté aux choses de l’amour. Pour moi, elle ou une autre... Je me suis laissé persuader par ma mère de consentir à ce mariage. Au premier abord, Ludivine ne me déplaisait pas. Je pensais n’avoir aucune peine à être pour elle un bon mari. Cependant, peu de temps avant notre union, nous avons eu une forte dispute. Ce jour-là, j’ai eu comme l’intuition que je me trompais sur cette nature. J'ai été jusqu'à rompre nos fiançailles. Que n'ai-je pas suivit la mauvaise impression qu'elle m'avait laissé... Pourquoi ai-je cédé à ma mère au mépris de ma propre volonté ? Si je n'avais dû affronter que sa mère et à votre père, je peux vous assurer que je n'aurai pas capitulé devant eux. Je n'ai vraiment connu Ludivine qu’un peu plus tard. Ma femme est un abîme de fausseté, Isabelle.

    Enfin, le jour se faisait sur cette confrontation entre Ludivine et lui !  Le cœur de la jeune fille bondissait dans sa poitrine amoureuse. Elle ne pouvait plus nier ce sentiment qui la consumait, mais qu’elle n’avait aucunement le droit d’exprimer pour la simple raison qui était évident que William n’était pas libre, pris au piège dans un mariage dont, au départ, il n’avait pas mesuré les conséquences.

     

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    Le jeune homme sentait que Isabelle était fort troublée et que leur attirance mutuelle se faisait plus présente. Il décida de s’écarter d’elle poliment, ne pouvant se laisser aller à cette envie de la pendre dans ses bras et de lui voler un baiser que peut-être, elle aussi souhaitait.

    Je vous ai dérangé dans votre travail, chère Isabelle et je m'en excuse. Maintenant je vous laisse et je vais retrouver ma bicyclette que j’ai laissé au bas du sentier. Il s’interrompit en fronçant les sourcils. Suivant la direction de son regard, Isabelle vit le petit Thierry vêtu de blanc qui s’avançait vers le seuil de la salle.

    Que viens-tu faire ici sans ta mère ? Demanda sèchement William.

    Avant que l’enfant ait eu le temps de répondre, Ludivine apparaissait derrière son fils.

    Mais il n'est pas seul ! Je suis là, ne vous déplaise cher ami ! Je voie que vous êtes là aussi... Isabelle !

    La jeune comtesse lui lança au visage :

    Cette partie de château-vieux est mon domaine ! Que venez vous faire de ce côté-ci alors que vous ne vous aventurez jamais dans ces lieux qui sont dangereux pour qui ne les connait pas ? Vous n'êtes pas la bien venue ! De plus, votre fils n'y a pas à sa place !

    Écartant son fils, Ludivine s’avança provocante, toujours en représentation. Elle n'avait aucunement l'intention de rebrousser chemin. Vêtue d'une robe rose et blanche, avec un décolleté mettant en valeur ses épaules nues, ses cheveux savamment bouclés, retenu par un chignons laissant retomber en grappes quelques anglaises sur le devant de sa poitrine. Elle se sentait en position de force vis à vis de ses deux interlocuteurs. Elle tenait dans ses bras un de ces petits chiens à la mode, semblable à un petit chat à la fourrure d’une blancheur neigeuse qu’elle traînait partout avec elle. Son regard d’un bleu plus céleste que jamais, souriait à William et glissait malicieusement vers une Isabelle saisi par un sentiment de colère, reprochant à cette pimbêche d'avoir découvert le lieu secret ou elle aimait se réfugier lorsque ses pensées étaient à l'orage, ce qui était le cas en ce moment. Se rendant compte de l'effet produit pas sa visite impromptue, Ludivine distilla son venin dissimulé derrière une amabilité factice :

    Je ne supposais pas que je vous trouverai dans ces ruines... tous les deux…

    Isabelle, piquée au vif, rétorqua :

    Je suis à ma place habituelle et ne vous doit aucune explication sur mes fais et gestes ! C’est vous qui n’êtes pas à la votre ! Si William est venu me voir, je vous rappelle qu’il est mon cousin-germain et qu’il n’y a rien de répréhensible quant à vos allusions mal venues.

    Oh ! Mais qu’allez-vous chercher là dans mes propos chère Isabelle ! Ce n’est qu’une constatation, sans plus ! Je cherchais mon époux que je retrouve avec vous... dans ces ruines...

    C’est une constatation de trop qui laisse supposer quelques tromperies nul et injustifiées de notre part. Vous avez l'esprit mal tourné !

    Ludivine accusa le coup et fit mine de ne pas tenir compte de la réflexion acerbe de celle qu'elle considérait comme sa rivale. Quant à Isabelle, elle avait une envie folle de bondir sur son ennemie à l’imagination soupçonneuse. William n'en pensait pas moins que sa cousine. Cette suspension légère dans la phrase suavement distillée par les lèvres de sa femme, parut faire sur lui comme l’effet d’un aiguillon. Il y eut, dans ses yeux, un éclaire bleu acier qui passa et se fixa sur elle. Un dur mouvement de mâchoires découvrit ses dents serrées, ce qui ne trompa pas Isabelle sur la colère qui grondait en lui. Il avait été surprit par cette diablesse jalouse et possessive, et cela lui donnait envie de bondir sur elle.

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    Satisfaite de l’effet qu’elle avait produit sur William et sur sa rivale en les dérangeant sciemment, laissant exprès aller son fils devant elle pour pouvoir les surprendre dans leur petit jeu... à deux. Elle avait fort bien réussi son coup en reconnaissant parfaitement les humeurs de son mari lorsqu’il était mécontent de sa néfaste intrusion. William serrait encore les dents en lançant à Ludivine :

    Il suffit maintenant avec vos sous-entendus ! Et pourquoi ne pourrais-je pas admirer le paysage ? La vue est fort belle d’ici ! Vous pouvez l’admirer si le cœur vous en dit ! Cela vous évitera de dire n’importe quoi !

    Ludivine fit quelques pas vers les abords dangereux sans trop s’en approcher. Elle souriait toujours, ingénument tout en remarquant :

    Ne vous mettez pas dans cet état, mon ami ! Que vous ai-je fais pour mériter votre courroux ? La vue est très belle et c’est une raison, en effet, pour Isabelle, de venir ici se ressourcer et dessiner, cependant, ce lieu manque un peu de confort :

    — Ma chère ! Vous n’avez même pas un siège !

    Je n'en ai nul besoin. Le rebord de la falaise me suffit. Essayez d’en faire autant ! On y est très bien ! Heureusement qu’il n’y a pas de siège ! Cela vous évitera de vous attarder dans ces lieux où vous n’avez rien à y faire et encore moins votre fils ! Fit sèchement Isabelle.

    Négligeant la réplique cinglante de la jeune comtesse, Ludivine continua son bavardage insidieux :

    Oh ! C’est terriblement dangereux ! Vous devriez lui dire, William.

    Isabelle sait ce qu’elle fait, répliqua le jeune comte agacé.

    Pour clouer le bec de cette pimbêche de Ludivine et pour donner raison à son cousin, Isabelle asséna une dernière réplique :

    Gardez vos conseils à double sens pour vous ! J’ai passé l’âge de recevoir des leçon quant aux dangers que je côtoie depuis mes plus jeunes années sans mon père qui vous est tout dévoué ! Occupez-vous plutôt de votre fils qui est nullement à sa place dans cet endroit dangereux, comme vous le dites vous-même ! Pendant que vous distillez votre venin, il est déjà à plus de dix mètres de vous. Il serait judicieux de le surveiller de plus près au lieu de câliner votre chien de salon !

    La glaciale ironie de sa voix ne parut pas faire impression sur Ludivine qui, pour donner le change, précisa :

    C'est un Bichon Maltais pure race, chère Isabelle. Il est évident que vous ne me semblez pas connaître cette race !

    Sans se soucier plus que cela du bambin qui trottinait un peu partout dans les ruines, et comme une provocation muette à l’intention de la jeune comtesse, Ludivine jeta négligemment un coup d’œil vers le paysage que la baie vitrée encadrait, et dont elle n’avait que faire, puis elle se tourna vers Isabelle en désignant l’album que celle-ci tenait à la main.

    Vous dessiniez ? Montrez-moi, voulez-vous ?

    Isabelle, hors d’elle, répliqua sur un ton qui se voulait désinvolte :

    Croyez-vous que votre intelligence saurait capter le sens artistique de ce dessin ? Jusques où peut aller votre intérêt à ce que vous ne comprenez guère ?

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    Vous n’avez pas perdu le sens de la répartie à ce que je vois chère amie. Ne seriez-vous pas coupable de quelque chose d’inavouable ?

    A votre place, je me tairais car les choses inavouables dont vous êtes coutumière surpassent, et de loin, ce que vous jugez à tort devoir, avec vos sous-entendus, nous reprocher, et qui n'ont pas lieu d'être !

    Grondant comme un lion en cage, William asséna le coup de grâce à sa femme :

    Maintenant, il suffit, Ludivine ! Vous en avez assez fait pour aujourd’hui ! Votre joute verbale envers ma cousine est exécrable ! Allez-vous faire choyer ailleurs et laissez-nous en paix ! Bien que je ne vous doive aucune explication, je n’étais venu que pour lui faire une commission de la part de Juliette et lui porter un livre dont on avait parlé ensemble avec mon frère et ma sœur un jour ou vous n’étiez pas là. Nous avions aimé débattre sur Charles Dickens et je lui avais promis de lui prêter ce livre.

    Mais tout le monde sait bien que les excuses servent souvent à cacher d’autres intentions, mon ami !

    Je n’ai aucun compte à vous rendre, ma chère ! Par contre, j’aime vous prendre en défaut quand cela s’avère nécessaire et c’est, malheureusement, bien trop souvent le cas ! A présent, je m’en vais ! Faites-en autant et laissez travailler ma cousine ! Se sentant vexée devant Isabelle, et ne voulant pas en rester sur une défaite, Ludivine essaya un autre stratagème afin de détourner la colère de son mari :

    Mais je ne peux partir sans avoir vu les esquisses d’Isabelle puisqu’elle à un don si particulier. Je veux voir ces dessins, mon ami. Dit-elle en souriant ingénument.

    Pour en finir avec cette indésirable colombe qui ne savait que caqueter et qui n’aimait que les nuances de blanc dans ses tenues, Isabelle remarqua qu’à cet instant précis, son ennemie se désintéressait complètement de son petit garçon qui était sans surveillance et qui frôlait l'abîme. William comprit le danger et prit la situation en main en ramenant l'enfant près de sa mère en la sermonnant. Mais Ludivine n'en avait cure. Elle se pavanait dans sa robe blanche qui se fondait dans le blanc de son toutou de salon qu’elle affichait en le tenant élégamment dans ses bras, tel un bijoux précieux. Ecœurée, Isabelle lui tendit son album en lui disant d’un air méprisant :

    Après tout, ça ne me gêne aucunement de vous montrer cet album puisque de toutes façons, il faut de la pratique, de la maîtrise de sois et un talent certain que vous n’avez pas, pour arriver à en comprendre la signification. Sauriez-vous seulement analyser où j’en suis du don que la providence m’a donné ? A part vous pavaner toute la journée avec votre Bichon Maltais sans même faire attention à votre fils, vous n’en avez aucun, même pas celui d'une mère attentive à son fils, à ce que je vois ! A n’en pas douter ! Il n' a que vous qui comptez ! Vous êtes bien le portrait de votre mère !

    Ludivine accusa le coup, mais ne dit mot. Juste un sourire ironique traduisait sa vexation concernant ce que Isabelle insinuait continuellement sur elle dès qu’elle en avait l’occasion. La jeune comtesse lui avait tendu l’album brutalement. Ludivine l'avait rattraper de justesse et l’avait, tout exprès, feuilleté avec nonchalance, simplement pour l'énerver. Elle revînt plusieurs fois sur les dessins précédents et s’arrêta sur les chauves-souris.

    Oh ! Très joli ! Vous avez vu William ?

    Vous avez très bien que je les ai vu ! Quel plaisir avez vous d’appuyer sur des mots inutiles puisque vous nous espionniez depuis un certain temps déjà ! Mais laissons Isabelle travailler ! Nous ne l’avons que trop déranger.

    Oh ! Moi, très peu ! Vous peut-être mon ami, si vous étiez là depuis un certain temps...

    Encore une de vos insinuations ! Mais allez-vous cesser vos sarcasmes déguisés !

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    Vous êtes là depuis peu, mais suffisamment longtemps pour nous mettre hors de nous !  Que vous importe que je parle avec ma cousine, puisque la plupart du temps, vous êtes absente du foyer conjugal ! Je suis libre de mes mouvements, comme vous l’êtes des vôtres pratiquement toute l’année. Vous n'avez rien à redire ! Assumez votre rôle de femme mariée, et ensuite, vous aurez le droit, concernant mes allées et venues, à la parole ! Est-ce que vous me tenez au courant de vos badinages au milieu de votre cour masculine dont vous aimez la compagnie ! A chacun sa vie ! C’est vous qui l’avez voulu ainsi, il me semble ! Continuez donc de vous occuper de vos affaires et arrêtez vos sous entendus qui ne servent à rien ! Vous n’êtes vraiment pas vivable et je remercie le ciel que vous ne soyez pas à Aigue-blanche toute l’année !

    — Mais... mon ami ! Qu'ai-je dit ou fait qui vous indispose ainsi à mon égard ?!

    — Vous en avez fais assez pour cet après-midi, vous dis-je !

    Ne sachant plus que répondre, Ludivine esquissa un sourire suave et plus que puérile... usourire d’innocence feint que William ne connaissait que trop.  

    — Qu'elle hypocrite cette Ludivine ! Pensa Isabelle en observant son cousin hors de lui serrer encore une fois les dents pour ne pas s’étendre plus avant sur cette comédie de mariage dévoilée devant sa cousine. Ses yeux devinrent d'un indescriptible noir sombre et brûlant. Avec ses insinuations, Ludivine le mettait tellement hors de lui, qu'il n'arrivait plus à se contenir ; mais il fallait qu’il garde son calme pour ne lui donner d'emprise sur la façon dont il menait sa vie. Il se devait de la laisser parler dans le vide, et faire le moins possible attention à ses incessants caquetages...

    — Au revoir, ma chère cousine. Fit William en baisant la main qu’elle lui tendait. Son baiser se fit langoureux tout exprès, sachant l’effet que ce geste ferait sur sa femme.

    Comme il le prévoyait, cela agaça fortement Ludivine qui ne voulu pas le montrer. William qui la connaissait suffisamment malgré ses absences plus que répétées, n’en attendait pas moins.

    Vous êtes venue en voiture cher ami ? Demanda t-elle pour faire diversion.

    — Que vous importe ?!

    — Eh bien ! J’ai la mienne. Nous pouvons partir ensemble !

    — Merci, mais j'ai ma bicyclette.

    — Comme vous voudrez. Ma chère Isabelle ! Restez telle que vous êtes et ne vous mariez pas. Qu’y a-t-il de plus capricieux que les hommes !

    — Des femmes telles que vous ! Lança Isabelle.

    Vous aimez plaisanter à ce que je voie ! Mais je ne vous en tiens pas rigueur !

    Ludivine avait pris un ton plaintif et rieur à la fois pour se faire plaindre. Sur ses paroles qui se voulaient avenantes, sa main saisit celle de la jeune comtesse et la pressa longuement comme-ci elle voulait lui témoigner une toute récente sympathie. Elle ajouta :

    — A bientôt ma chère  ! Nous nous verrons plus souvent maintenant que je passerai une partie de mes journées à Monteuroux.

    Ce à quoi Isabelle répondit :

    — Je vous en prie ! Ne vous donnez pas cette peine ! Moins je vous voie, mieux je me porte !

    Ne tenant aucun compte de ce qu'elle venait d'entendre, Ludivine s’en alla vers la cour suivie du petit Thierry,  mais sur le seuil de cette salle en ruine, elle se retourna une dernière fois pour jeter un regard vers sa rivale qui se tenait, en cet instant, debout près de la baie.

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    Mais j'en garde des souvenirs qui, jamais, ne s'effaceront pas de ma mémoire.

    Isabelle avait su capter l’attention de son auditoire par ses connaissances historiques concernant cette fontaine qu’elle aimait tout particulièrement. Leurs impressions ressenties les faisaient s’animer de plaisir en se remémorant toutes ces belles villes et leurs beaux monuments qu’il était important d’avoir vu au moins une fois dans sa vie. La jeune comtesse retrouvait le William qu’elle appréciait tant. Il avait ce beau visage volontaire qui se couvrait si facilement d’un masque de froideur lorsqu’il ressentait cette souffrance indescriptible dont sa femme était la cause. Ce mal-être était le reflet d’une torture secrète qui lui faisait, à certains moments, soupçonner le foyer inconnu d’une douleur profondément ancrée dans l’âme de son cousin. Parfois, revenait sur ses lèvres ce sourire qui donnait à ce visage un charme si prenant quand l’ironie en était absente. Et cela n’était pas si souvent. Il n’y avait pas tellement d’écarts entre eux. William n’avait que vingt-sept ans. Mais ce mariage l’avait mûrit trop vite et rendu sombre. Aujourd’hui, Isabelle décelait en lui quelque chose qui semblait forcé. Elle sentait également en Juliette ce même malaise qui causait cette moue, et qui ne s’était pas tout à fait effacée de son joli visage.

    Tous semblaient absorbés dans des réflexions moroses et toutes intérieures. Ainsi, avant même d’être là, Ludivine, la pestetroublait la paix de ces trois êtres au cœur sincère.

    Ce fut le dimanche suivant, en arrivant à Aigue-blanche pour y déjeuner comme elle en avait l’habitude chaque semaine, que Isabelle revit la jeune comtesse de Rubens-Gortzinski qui s’était ravisée concernant la date de son arrivée afin de surprendre les activités de son mari et de sa cousine, sachant qu’elle était là depuis le début du printemps. Ludivine se prélassait dans le jardin, devant les fenêtres du salon. Thierry, debout près d’elle, appuyait sa tête brune sur ses genoux. Elle caressait les boucles du petit garçon tout en suivant d’un regard attentif et sans avoir l’air de rien, les mouvements des habitants du manoir réunis dans le salon, qui accueillaient Isabelle et Adélaïde. Enfin elle se leva et vint jusqu’à la porte-fenêtre. Sa voix douce, et musicale, dit gaiement :

    — Bonjour, Isabelle !

    Puis elle dévisagea rapidement, furtivement, la jeune femme qui se tenait devant elle. Ses lèvres eurent une torsion légère. Isabelle, qui souriait quelques secondes plus tôt, en parlant à Juliette, avaient maintenant la physionomie glacée, ce qui était un réflexe de défense qu'elle avait souvent affiché autrefois, devant sa belle-mère. Ludivine dit avec un regard câlin :

    — Je suis très contente que vous soyez à Monteuroux. J’avais très envie de vous revoir.

    — Vous n’avez cependant pas tant de raisons de vous réjouir de ma présence ici, puisque d’ailleurs, nos contacts, avant mon départ, ne furent pas si nombreux.

    La riposte froide et railleuse, partait toute seule des lèvres d’Isabelle. Vraiment, quelle singulière personne cette Ludivine qui excitait en elle tant des sentiments irritants dès qu’elle lui parlait. En se penchant vers le passé, cela n’avait changé en rien...

    Ludivine rit doucement.

    — Oh ! C’est oublié, cela ! Vous n’êtes plus, je l’espère, la fillette pas très agréable de ce temps-là ? 

    Piquée au vif, Isabelle rétorqua avec un sourire tout aussi mielleux que celui de son interlocutrice :

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    Ce regard détaillait cette souple silhouette vêtue d’une robe légère parsemée de petites fleurs blanches qui lui allait à ravir. Elle était très belle et son visage, encadré de boucles blondes aux reflets satinés, était d’une grâce et d’une régularité parfaite, ce qui sur le moment, la rendit jalouse...

    Isabelle la suivait des yeux avec une expression de mépris. Sur les lèvres de Ludivine, le sourire devint un rictus tandis qu’elle murmurait pour elle-même :

    Que de choses intéressantes l’on découvre parfois dans des ruines…

    Quand celle qu'elle ne pouvait supporter eut disparue de sa vue, Isabelle retourna de nouveau s’asseoir sur le rebord de la baie. Elle n'était plus à ses dessins. Ses coudes sur ses genoux, puis son visage entre ses mains, elle songea :

    Il ne l’a jamais aimé. A cette constatation, son âme se remplit d’allégresse en rendant compte d'un fait qui datait des fiançailles de son cousin avec cette coquette de Ludivine. Avec quelle brusque franchise et quelle confiance il lui avait appris la vérité sur son mariage et laissé apparaître sa souffrance. Ah ! Que ne pouvait-elle apaiser celle-ci... l’en délivrer ? Son regard errait sur les collines assombrit par un ciel d’orage menaçant, sans vraiment les voir. Le ciel était plombé sur la vallée engourdie dans cette lourde chaleur de cet après-midi de fin juillet. Elle ne savait pourquoi, mais elle sentait qu’un malaise s’insinuait en elle. Des événements allaient certainement changer le cours des choses. Il y avait un air malsain qui n’augurait rien de bon pour les jours à venir. Isabelle repensait à sa tendre mère qui avait prononcé ces paroles de méfiance envers les habitants de Monteuroux. Sa tante Victoria l’avait également prévenu des possibles agissements de sa belle-mère. Peut-être bien que Ludivine pourrait être l’instigatrice de féroces agissements contre sa propre personne et qui viendrait sournoisement de sa belle-mère ? La méfiance devait habiter son âme. Isabelle devait demeurer sur ses gardes.

    Depuis la surprenante visite de Ludivine qui les avait surpris en pleine conversation intime les concernant et qu’elle n’avait pas pu savoir, une soudaine angoisse ne quittait plus son esprit. Le doux visage trompeur de Ludivine, son air câlin, son sourire sucré qui démontrait, chez elle, une fausseté, horripilait Isabelle et ne trompait personne. Pendant une seconde, elle se remémora, la bouche de sa grand-mère qui, en s’en allant loin de ce monde dont elle s'était volontairement coupée depuis le mariage de son fils, avait eu un rictus, accompagné d'un rire caverneux emplit de haine. Isabelle frissonna, saisie d’un obscur pressentiment. La jeune fille se redressa, la poitrine oppressée, et songea que cette Ludivine avait vraiment, comme sa mère, quelque chose de maléfique en elle. Soudain, elle se surprit à parler toute seule :

    Mais je ne suis plus l’adolescente d’autrefois ! Et que peux-tu, à présent, contre moi ? Après tout, nous n’avons que un ans de différence. Tu ne m'impressionnes pas avec tes sous-entendus. Te tenir tête m’est facile. Je verrais bien jusqu’où peut aller ta fourberie… 

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  •  Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34- 

    Chapitre XII

    Dans la matinée du surlendemain, Isabelle alla rendre visite à son père. Cette entrevue lui pesait fort. En ses six années, elle n’avait échangé avec lui que de rares lettres insignifiantes. Cette indifférence paternelle, ajouté au souvenir de la scène qui avait précédé la mort de son aïeule, blessaient encore très profondément son cœur pour qu’elle n’éprouva pas une pénible gêne à l’idée de le revoir. Par Dominique qu’elle avait chargé d'intercéder pour elle afin de connaître le moment ou il pourrait la recevoir, le comte lui avait fait dire qu’il l’attendrait vers onze heure dans la bibliothèque de château neuf qu'elle connaissait, d'ailleurs, très bien. Elle le trouva assis devant une table, occupé à écrire. Son changement physique la frappa. Cette apparence de jeunesse longtemps conservée avait disparue. Pourtant, il ne s’était guère écoulé que six ans entre son départ et son retour à Monteuroux. Cependant, son père semblait las et souffrant. Néanmoins, il conservait son habituelle élégance de tenue qu’on les aristocrates. Isabelle attendit silencieusement qu’il lui adressa la parole, mais intérieurement, elle se réjouissait de voir sa stupéfaction quand il lèverait les yeux sur elle en l’entendant dire :

    Bonjour, père. La réaction ne se fit pas attendre longtemps. Le comte, l’air perplexe, la considéra un moment avant de murmurer :

    Isabelle ? Tu es Isabelle ?

    Et bien, oui ! Ce n’est que votre fille !

    Se levant, il mit une main sur son épaule, la regarda encore, puis se pencha pour lui mettre un baiser sur le front.

    Et bien ! Ma fille ! Je suis obligé de reconnaître que nous avons eu raison de t’envoyer chez ton oncle ! Tu nous reviens complètement transformée, extérieurement, du moins ! J’espère que le caractère à suivi ?

    Cela dépend de quel point de vue l’on se place. Je ne suis plus une enfant ! Ainsi, j’ai toujours conservé l’habitude de la  franchise et la sincérité. J'ai toujours en horreur le mensonge et l’hypocrisie.

    Ce n’est pas un mal... pas un mal du tout… Il n'y a rien de répréhensible à cela, à condition que cela soit justifié !

    Pourtant il fut un temps ou vous n’aimiez pas que je sois directe.

    Il laissa retomber sa main en détournant légèrement les yeux du regard droit et fier de sa fille.

    Assieds-toi... Raconte-moi ce que tu as fait là-bas.

    Brièvement, Isabelle lui donna un aperçu de son existence à Verte-cour et lui apprit ses projets pour se faire une situation. Il l’approuva en déclarant :

    Tu ne pourras compter que sur tes avoirs mon enfant, car je n’aurai rien à te laisser lorsque je ne serais plus. Il faut que tu le saches ! La seule chose que je te léguerais, en admettant que je ne sois pas obligé de l’hypothéquer encore, ou de m’en défaire d’ici là… sera Monteuroux, et dans un bien mauvais état ! A ton tour, tu devras le vendre pour régler les dettes et les frais de notariat. S'il reste quelques avoirs, tu auras, peut-être, la chance de pouvoir voir venir un certain temps... Tu es ma seule héritière, si je puis encore affirmer cela... néanmoins, je ne te laisserais qu'une infime partie de la vente du château, ce qui n'est pas du tout sûr.

    Cette soudaine nouvelle fit tressaillir la jeune comtesse :

    — Vendre Monteuroux ? Oh ! Mon dieu ! Non !

     

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  • Le mystère de l'étang-aux-ormes. Page -34- 

    Son père passa sur son front une main aux veines saillantes et gonflées qui tremblaient un peu.

    Je ne m’y résoudrais pas sans déchirement ; mais je ne puis l’entretenir qu’avec les revenus de ma femme. Or, ceux-ci, par la suite d’événements fâcheux, ont été sensiblement diminués. Il me faut donc envisager cette perspective pénible et bien à contre cœur pour l’année à venir. Je n’aurais, peut-être, pas le choix. Le château, même dans l'état où il se trouve, les terres attenantes, ainsi que l'étang-aux-ormes, ont de la valeur. Je vais pouvoir en tirer un bon prix, payer les reliquats et assainir mes dettes de façon à me retirer avec ma femme, sans avoir le soucis de ce poids qu'est devenu le domaine.

    Ainsi donc, serait-il possible que ce fût le dernier été passé dans ce cher vieux domaine, les dernières semaines où elle pourrait se promener dans ce parc redevenu presque entièrement sauvage ? Cette pensée lui fut si douloureuse que des larmes lui montèrent aux yeux. Elle se rappela subitement le feu éblouissant des pierres cachées derrière la plaque armoriée de la cheminée, le trésor constituées des royales émeraudes du collier de la princesse hindoue des rubis et saphirs constituant les reste de la somptueuse collection. La vente de tels joyaux permettrait d’assurer l’entretien de Monteuroux pendant des années, cependant, la promesse qu'elle avait faite à son aïeule, l'empêchait même d’y songer. Ces joyaux devraient dormir là où ils sont, sans qu’ils aient leur utilité par la faute de son père et de cette d’Argenson. Sans elle, l’aïeule n’aurait sans doute jamais eut l’idée, sur la fin de sa vie, de les dérober aux convoitises de cette femme qu’elle méprisait sans jamais l’avoir vue. Quant à son fils, il lui avait désobéi bravant son autorité en épousant cette affreuse femme sans tenir compte de ses menaces. 

    Accablée par cette révélation, Isabelle regardait son père avec un mélange d’irritation et de pitié. Assise en face de lui, elle remarquait mieux son teint blême, les boursouflures sous ses yeux et la fatigue de son regard. Elle fut soudain envahit par cette idée qu’elle avait eu six ans au paravent. Ne serait-ce pas les prémisses d’un empoisonnement à l’arsenic que sa marâtre distillerait très lentement dans ses boissons, ainsi que les plats qu’il devait consommer à chaque repas ? Elle osa cette question :

    Vous n’êtes pas bien, père. Vous venez de faire un traitement thermal m’a dit Ludivine. Ne devriez-vous pas être en meilleurs santé ?

    Oui, mais je n’en sentirai les effets que dans quelques jours. Ici, je viens me reposer pour reprendre un peu de vigueur... Il s’interrompit tout en tournant la tête vers l'entrée de la pièce et son regard s'illumina. 

    Dans la haute porte sculptée, s’ouvrait une portière qu’une souple silhouette venait de pousser. C’était la  d'Argenson qui apparaissait dans une soyeuse robe d’intérieur couleur bleu indigo. Elle s’avança, un sourire détendant ses lèvres trop fines, et ses yeux pleins d’une accueillante douceur qui sonnait faux.

    Chère Isabelle, nous te revoyons enfin !

    Elle tendit les deux mains à sa belle-fille qui se contenta d’y poser mollement une des siennes, le dégoût  de cette femme en était la cause. Sa marâtre fit mine de ne pas s'en apercevoir et continua de feindre une sympathie  loin d'être ressentie.

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